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DE L'ESPRIT DES LOIS.


n’ont point établi un tribun [1], il faut qu’elles soient un tribun elles-mêmes.

Toute sorte d’asile contre l’exécution des lois perd l’aristocratie ; et la tyrannie en est tout près [2].

Elles doivent mortifier, dans tous les temps, l’orgueil de la domination. Il faut qu’il y ait, pour un temps ou pour toujours, un magistrat qui fasse trembler les nobles, comme les éphores à Lacédémone, et les inquisiteurs d’État à Venise, magistratures qui ne sont soumises à aucunes formalités. Ce gouvernement a besoin de ressorts bien violents. Une bouche de pierre [3] s’ouvre à tout délateur à Venise ; vous diriez que c’est celle de la tyrannie.

Ces magistratures tyranniques dans l’aristocratie ont du rapport à la censure de la démocratie, qui, par sa nature, n’est pas moins indépendante [4]. En effet, les censeurs ne doivent point être recherchés sur les choses qu’ils ont faites pendant leur censure ; il faut leur donner de la confiance, jamais du découragement. Les Romains étoient admirables ; on pouvoit faire rendre à tous les magistrats [5] raison de leur conduite, excepté aux censeurs [6].

Deux choses sont pernicieuses dans l’aristocratie : la pauvreté extrême des nobles, et leurs richesses exorbitantes. Pour prévenir leur pauvreté, il faut surtout les obliger de

  1. A. B. Si elles n'ont point un tribun, etc.
  2. A. B. En est tout auprès.
  3. Les délateurs y jettent leurs billets. (M.)
  4. Leur censure est secrète ; celle des Romains étoit publique. (HELVÉTIUS.)
  5. Voyez Tite-Live, liv. XLIX. Un censeur ne pouvoit pas même être troublé par un censeur : chacun faisoit sa note sans prendre l'avis de son collègue, et quand on fit autrement, la censure fut, pour ainsi dire, renversée. (M.) Conf., Cicéron, pro Cluentio, chap. XLII, XLIII.
  6. A Athènes, les légistes, qui faisoient rendre compte à tous les magistrats, ne rendoient point compte eux-mêmes. (M.)