Aller au contenu

Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t3.djvu/293

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
201
LIVRE V, CHAP. XIV.


aucun autre ; elle est une crainte ajoutée à la crainte. Dans les empires mahométans, c’est de la religion que les peuples tirent en partie le respect étonnant qu’ils ont pour leur prince.

C’est la religion qui corrige un peu la constitution turque [1]. Les sujets, qui ne sont pas attachés à la gloire et à la grandeur de l’État par honneur, le sont par la force et par le principe de la religion.

De tous les gouvernements despotiques, il n’y en a point qui s’accable plus lui-même, que celui où le prince se déclare propriétaire de tous les fonds de terre, et l’héritier de tous ses sujets. Il en résulte toujours l’abandon de la culture des terres ; et, si d’ailleurs le prince est marchand, toute espèce d’industrie est ruinée.

Dans ces États, on ne répare, on n’améliore rien [2]. On ne bâtit de maisons que pour la vie [3], on ne fait point de fossés, on ne plante point d’arbres ; on tire tout de la terre, on ne lui rend rien ; tout est en friche, tout est désert.

Pensez-vous que des lois qui ôtent la propriété des fonds de terre et la succession des biens, diminueront l’avarice et la cupidité des grands ? Non : elles irriteront cette cupidité et cette avarice. On sera porté à faire mille vexations, parce qu’on ne croira avoir en propre que l’or ou l’argent que l’on pourra voler ou cacher.

Pour que tout ne soit pas perdu, il est bon que l’avidité du prince soit modérée par quelque coutume. Ainsi, en Turquie, le prince se contente ordinairement de prendre

  1. Sup., III, X.
  2. Voyez Ricaut, État de l’empire ottoman [édit de 1678, in-12], p. 196, (M.)
  3. Lettres persanes, CXII.