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XVIII
INTRODUCTION


les Lettres persanes, les Considérations sur la grandeur et la décadence des Romains n’avaient pu paraître qu’en Hollande. Et l’auteur avait eu soin de cacher son nom pour éviter des tracasseries, ou des ennuis plus grands.

Espérait-il être plus heureux avec l'Esprit des lois ? je ne le crois guère. Malesherbes, dit-on, aurait voulu qu’on publiât en France un livre qui faisait honneur à la nation ; on ne voit pas que l’auteur y ait songé.

Même en imprimant son livre à l’étranger, et sous le voile de l’anonyme, Montesquieu ne se dissimulait point qu’en France on pouvait lui demander compte de sa hardiesse [1]. Cette crainte l’obligeait à voiler sa pensée ; c’est ce qui explique comment cet esprit si net, si clair, si vif, a trop souvent l’air de parler par énigmes, en laissant au lecteur le soin de deviner le mot qu’il serait dangereux de prononcer.

Les contemporains ne s’y trompaient pas, on en peut juger par ce passage de d’Alembert :


« Nous disons de l'obscurité que l'on peut se permettre dans un tel ouvrage, la même chose que du défaut d’ordre. Ce qui seroît obscur pour les lecteurs vulgaires, ne l'est pas pour ceux que l'auteur a eus en vue ; d'ailleurs l’obscurité volontaire n’en est pas une. M. de Montesquieu ayant à présenter quelquefois des vérités importantes, dont renoncé absolu et direct auroit pu blesser sans fruit, a eu la prudence de les envelopper ; et, par cet innocent artifice, les a voilées à ceux à qui elles seroient nuisibles, sans qu’elles fussent perdues pour les sages. [2] ».

  1. Le livre avait beau être imprimé à l'étranger, sous le voile de l'anonyme, le gouvernement qui laissait l'ouvrage circuler en France ne s'en croyait pas moins le droit de demander à l'auteur des suppressions ou des cartons ; trop heureux l'écrivain quand on s'en tenait là. Une lettre publiée par M. Parrelle, dans l'édition Lefèvre, nous garde une réponse de Montesquieu à M. d’Argenson directeur de la librairie, qui lui avait ordonné d’envoyer à Paris les cartons de l’Esprit des lois. Cette lettre, qu’on trouvera dans la Correspondance, est datée de Genève le 17 février 1749. Elle est signée de MONTESQUIEU. Jamais à notre connaissance Montesquieu n’a signé de cette façon, et il n’était pas à Genève en 1749. Le fond de la lettre n’a rien d’invraisemblable, mais il y a là un petit mystère qu’il faudrait expliquer.
  2. Éloge de Montesquieu.