Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t3.djvu/449

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
357
LIVRE X, CHAP. III.


que nous suivons aujourd’hui ; la quatrième est plus conforme au droit des gens des Romains : sur quoi je laisse à juger à quel point nous sommes devenus meilleurs. Il faut rendre ici hommage à nos temps modernes, à la raison présente, à la religion d’aujourd’hui, à notre philosophie, à nos mœurs.

Les auteurs de notre droit public, fondés sur les histoires anciennes, étant sortis des cas rigides [1], sont tombés dans de grandes erreurs. Ils ont donné dans l’arbitraire ; ils ont supposé dans les conquérants un droit, je ne sais quel, de tuer : ce qui leur a fait tirer des conséquences terribles comme le principe, et établir des maximes que les conquérants eux-mêmes, lorsqu’ils ont eu le moindre sens, n’ont jamais prises. Il est clair que, lorsque la conquête est faite, le conquérant n’a plus le droit de tuer, puisqu’il n’est plus dans le cas de la défense naturelle, et de sa propre conservation.

Ce qui les a fait penser ainsi, c’est qu’ils ont cru que le conquérant avoit droit de détruire la société [2] : d’où ils ont conclu qu’il avoit celui de détruire les hommes qui la composent ; ce qui est une conséquence faussement tirée d'un faux principe. Car, de ce que la société seroit anéantie, il ne s’ensuivroit pas que les hommes qui la forment dussent aussi être anéantis. La société est l’union des hommes, et non pas les hommes ; le citoyen peut périr, et l’homme rester.

Du droit de tuer dans la conquête, les politiques ont tiré le droit de réduire en servitude ; mais la conséquence est aussi mal fondée que le principe.

On n’a droit de réduire en servitude que lorsqu’elle

  1. C’est-à-dire, du juste rigide, sup., ch. III.
  2. On dirait aujourd'hui la nation ou l'État.