Aller au contenu

Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t3.djvu/52

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
XXXII
INTRODUCTION

Tandis que la Sorbonne prolongeait ces hésitations qui ne devaient pas finir, on dénonçait l’Esprit des lois à Rome, on demandait que ce livre suspect fût déféré à la congrégation de l'Index. Une lettre adressée le 8 octobre 1750 au duc de Nivernois, ambassadeur de France à Rome, prouve que Montesquieu s’était ému de cette nouvelle menace. Il avait beau répéter que son livre était un livre de politique et non de théologie, une pareille excuse ne pouvait désarmer ses adversaires. Ce qu’on lui reprochait était justement de considérer la religion au point de vue politique ; il n’en fallait pas davantage pour alarmer une Église qui n’entend pas qu’on la discute, et qui prétend que, de droit divin, le dernier mot en toutes choses lui appartient.

Montesquieu offrait de corriger, ou tout au moins d’adoucir les passages qui blessaient les consciences timorées ; mais il ne connaissait pas les gens auxquels il avait affaire. On prenait acte de son bon vouloir, et on lui laissait entendre que la congrégation se contenterait de condamner les premières éditions. C’était plus qu’il n’en pouvait supporter ; ces tracasseries l’excédaient ; aussi s’en explique-t-il nettement dans sa lettre au duc de Nivernois :


« Je vois, dit-il, que les gens qui, te déterminant par la bonté de leur cœur, désirent de plaire à tout le monde et de ne déplaire à personne, ne font guère fortune dans ce monde. Sur la nouvelle qui me vint que quelques gens avoient dénoncé mon livre à la congrégation de l'Index, je pensai que, quand cette congrégation connoîtrait le sens dans lequel j’ai dit des choses qu'on me reproche, quand elle verroit que ceux qui ont attaqué mon livre en France ne se sont attiré que de l'indignation et du mépris, on me laisseroit en repos à Rome, et que moi, de mon côté, dans les éditions que je ferois, je changerois les expressions qui ont pu faire quelque peine aux gens simples ; ce qui est une chose à laquelle je suis naturellement porté ; de sorte que quand monseigneur Bottari m'a envoyé ses objections, j'y ai toujours aveuglément adhéré, et ai mis sous mes pieds toute sorte d’amour-propre à cet égard. Or, à présent je vois qu’on se sert de ma déférence même pour opérer une condamnation. Votre Excellence remarquera que si mes premières éditions contenoient quelques hérésies, j'avoue que des explications dans une édition suivante ne devroient pas empêcher la condamnation des premières ; mais ici ce n’est point du tout le cas ; il est ques-