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LVI
INTRODUCTION


bénédiction, a dit Mme de Gasparin, est la dernière vengeance des dévots.

Tel est le pamphlet de cet honnête pharisien, il avoue qu’au début il a été fasciné par les beautés éclatantes de l'Esprit des lois, mais que « les conseils d’un grand magistrat en qui les lumières égalent l'amour de la vertu, l’ont éclairé et lui ont fait voir distinctement les taches énormes qu’il n’avait aperçues qu’à travers une lueur éblouissante [1]. » Les éloges que Crévier prodigue au chancelier permettent de croire que ce grand magistrat, qui n’admirait point Montesquieu, pourrait bien être d’Aguesseau. Il est vrai que le chancelier mourut en 1751, treize ans avant la publication des Observations, mais l’ouvrage était de plus ancienne date, et suivant toute apparence il a été commencé dès l’apparition de l'Esprit des lois. Autrement on ne s’expliquerait pas pourquoi les critiques de Crévier portent sur l’édition de 1749, et visent des passages supprimés ou modifiés dans les éditions suivantes.

Quoi qu’il en soit, on s’attendait dans un certain parti à ce que le jugement d’un érudit tel que Crévier fit un grand effet sur le public. On en peut juger par la curieuse approbation donnée par le censeur :


« J’ai lu par ordre de Monseigneur le Chancelier les Observations manuscrites de M. Crévier sur le livre de l’Esprit des lois. Le nom d'un auteur qui a fait ses preuves est un heureux préjugé. Cet ouvrage ne perdra rien à l’examen ; il m'a paru judicieux et solide. S'il avoit été plus tôt entre les mains du public, la séduction auroit fait moins de progrès.

«  JOLLY. »
« En Sorbonne, le 7 mai 1763. »


Hélas ! le monde est incorrigible : c’est en vain que les sages, levant les bras au ciel, conjurent le temps d’arrêter sa marche impitoyable et de retourner vers le passé : la séduction de la raison n’a pas cessé de faire des progrès. D'Agues-

  1. Observations, p. 14.