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NOTES 95

1910 et 1914, Canicn'al est mort... plus encore qu'une entreprise de démolition et de reconstruction systématique est une confes- sion, l'autobiographie d'un cerveau au terme d'une adolescence pzssionncQ, possédée parle désarroi de son époque.

1905 -19 14, années de pré-renaissance, âge des précurseurs inconscients ou méconnus^et des grands liquidateurs, un Barrés par exemple — liquidateur du romantisme, d'ailleurs au plus haut prix. Suit la période 1914-1950, d'incubation, d'osmose, de balbutiements, de dadaïsmes. Puis, avec le même éclat qu'à partir de 1830, juste un siècle après, quinze années de chefs- d'œuvre — 19 30- 194 5 — -un classicisme nouveau au nom impré- visible. Dans l'ordre politique, le bolchevisme a éclaté avec cette même soudaineté apparente, il y a trois ans.

Mais ce qui étonnera le plus l'historien des idées, c'est que les meilleurs, les plus hardis des hommes de la pré-renaissance aient pu croire à la décadence de leur époque. Aucune génération n'aura sans doute davantage, plus profondément, ni plus à tort douté de soi que celle de Jean-Richard Bloch. D'un doute qui n'était pas simplement, comme au xvF et au xvii^ siècles, la crainte de ne jamais égaler les modèles de l'antiquité, ou le découragement des romantiques et du Parnasse, provoqué par l'incompréhension et l'hostilité du public, mais d'un doute foncier, intime, taraudant, d'un sentiment d'impuissance, pis encore d'indignité. Et les aînés, Péguy surtout, enti'etenaient ce doute.

Carnaval est mort... y c'est donc avant tout le cri d'angoisse de cette génération, d'avance condamnée par ses maîtres et se condamnant elle-même. « Ces pages, dit Bloch, ont été dictées par une passion civilisatrice presque désespérée » (p. 18). Et ailleurs : « Péguy nous trouve découragés avant de vivre, las sans avoir lutté, aveulis et peureux. Je suis de son avis... C'est une honte... Vous n'imaginez pas, vous ne pouvez pas imagi- ner la solitude des hommes de notre âge entre eux » (p. 46).

Cri d'angoisse, accompagné d'un anathème. Le même ana- thème contre le culte du veau d'or et la bassesse du monde moderne, privé de mystique, que chez Péguy, Sorel, Maurras, Claudel ou Romain Rolland, que chez Gide même, dont les symboles préférés sont ceux de la non-possession, de la décou- verte incessante, de la gratuité de la sensation et de l'acte. La

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