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NOTES I 1 1

avoir quelque chivnce d'échapper à cette profonde incompréhension de soi-même, qui semble bien être la loi même de la vie, il faut multiplier le plus possible les points de vue, emprunter, au moins passagèrement, celui de quiconque veut bien s'intéresser à nous, s'expatrier menta- lement toutes les fois qu'on en trouve l'occasion. Nous autres français, avons tout particulièrement besoin de nous laisser ainsi de temps en temps regarder du dehors par d'autres esprits que le nôtre. L'idée que nous nous faisons de notre génie, parce qu'elle est trop claire, tend sans cesse à devenir définitive, autant dire incomplète et mensongère. Il nous faut entretenir par tous les moyens son inachèvement, accueillir tout ce qui peut lui donner de la complexité. En aura-t-elle jamais autant que notre propre nature ?

L'article ci-dessous qui a paru, suivant la coutume anglaise, sans signature, dans le Supplément littéraire du Times du 30 septembre 1920, contient des aperçus auxquels nous ne souscririons peut-être pas tou- jours sans résistance, mais il est inspiré par une si intelligente sympathie critique et peut nous devenir l'occasion de réflexions si utiles que nos lecteurs nous sauront certainement gré de leur en traduire les passages essentiels :

Dans une des toutes premières lettres de Lamartine, datant de sa période « d'immersion dans une jeunesse légère et cor- rompue », alors que sa philosophie de la vie changeait selon les caprices de la divinité du moment, devenant très sombre lorsque celle-ci lui témoignait quelque froideur, il dit à un ami :

« Quelle épouvantable obscurité nous environne! Et que bien- heureux sont les insouciants qui prétendent s'endormir sur tout cela. 11 est bien aisé de rejeter des systèmes comme j'ai fait, mais s'il en faut bâtir d'autres, où trouver des fondements ? 11 me semble voir assez clairement ce qui ne doit pas être, mais pourquoi le ciel nous voile-t-il si bien ce qui est ? Ou du moins puisqu'il a voulu que nous fussions d'éternels ignorants à quoi bon l'insatiable curiosité qui nous dévore ? »

Peu de temps après, Lamartine fixa sa vie par un mariage arrangé avec une jeune Anglaise, dont il obtint la main, en faisant semblant de l'aimer ; mais il ne sut jamais tout à fait ramener à une surface unie tous les plis de son cerveau, ni dominer en lui cette disposition naturelle à exalter ou à dépré- cier les valeurs divines, selon l'état de sa digestion. « Pourquoi le ciel nous voile-t-il si bien ce qui est ? » L'exclamation serait absurde sur les lèvres d'un enfant gâté, et lorsque Lamartine

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