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Danvin. Laps de temps me sembla de meilleur augure encore. Enlîn m’apparut l’évidence de bouleversements que je ne connaissais pas mais propres à autoriser pour moi toutes les espérances, quand Albertine me dit, avec la satisfaction d’une personne dont l’opinion n’est pas indifférente :

— C’est, à mon sens, ce qui pouvait arriver de mieux... J’estime que c’est la meilleure solution, la solution la plus élégante.

C’était si nouveau, si visiblement une alluvion laissant soupçonner de si capricieux décours à travers des terrains jadis inconnus d’elle que dès les mots « à mon sens » j’attirai Albertine, et à « j’estime » je l’assis sur mon lit.

Sans doute il arrive que des femmes peu cultivées, épousant un homme fort lettré, reçoivent dans leur apport dotal de telles expressions. Et peu après la métamorphose qui suit la nuit de noces, quand elles font leurs visites et sont réservées avec leurs anciennes amies, on remarque avec étonnement qu’elles sont devenues femmes si en décrétant qu’une personne est intelligente, elles mettent deux l à intelligente ; mais cela est justement le signe d’un changement et il me semblait qu’entre le vocabulaire de l’Albertine que j’avais connue — celui où les plus grandes hardiesses étaient de dire d’une personne bizarre : « C’est un type », ou si on proposait à Albertine de jouer à des jeux d’argent : « Je n’ai pas d’argent à perdre », ou encore si telle de ses amies lui faisait un reproche qu’elle ne trouvait pas justifié : (.< Ah ! vraiment, je te trouve magnifique ! » phrase dictée dans ces cas-là par une sorte de tradition bourgeoise presque aussi ancienne que le Magnificat lui-même et qu’une jeune fille un peu en colère et sûre de son droit emploie ce qu’on appelle tout naturellement, c’est-à-dire parce qu’elle l’a appris de sa mère comme à faire sa prière ou à saluer. Albertine les avait apprises de sa tante en même temps que la haine des juifs et l’estime pour le noir où on est toujours