Aller au contenu

Page:NRF 16.djvu/214

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

compagnons, se fait plus réelle, revêt une personnalité, et avec elle tout le milieu où elle vit, ce nom de Guermantes est absorbé par elle, et devient au lieu du mot magique qui ouvrait un royaume féerique, le terme qui désigne dans le monde une certaine femme et puis une certaine famille. Et après avoir contribué à embellir cette dame, il perd sa vertu ancienne, et, de talisman devient épithète.

Ainsi, l’on pourrait dire, non seulement du Côté de Guermantes, mais de tous les livres parus de la série, qu’ils signifient le passage de la fiction à la réalité, (à la réalité non point sèche, mais encore enveloppée de tous les voiles gracieux de la fiction évanouie, de même que le souvenir d’une belle statue demeure dans l’esprit de celui qui la vit, superbe et dressée sur son socle, après qu’elle a été brisée et remplacée, par une mauvaise copie, augmenté encore par un regret mélancolique, et cependant gêné dans son évocation par la présence d’une image malencontreuse), ou plus exactement etplua précisément, qu’ils racontent la transformation des mots, selon que ceux-ci évoquent ou qualifient, dans un esprit porté à la fois à imaginer abondamment et à observer lucidement.

Ceci dit, tout reste à dire ; et, entre ce dessein général, et la façon particulière dont il se développe, il y aurait matière à épiloguer sans fin. Je ne m’y lancerai pas. Cependant, il faut bien signaler le lien qui unit les diverses parties de cette œuvre considérable, qui est la personnalité du narrateur. Il faut le signaler, mais non s’y arrêter : la conclusion serait prématurée, avant le terme de l’ouvrage, et malséante ou indiscrète : car ou bien je ferais mine de tirer de mon propre fond ce que je ne connais que par ouï-dire, ou bien je dirais tout crûment ma source, et j’abuserais d’une amitié dont je veux bien goûter l’agrément et l’honneur, mais non tirer profit.


LOUIS MARTIN-CHAUFFIER



NENE, par Ernest Pérochon (Plon-Nourrit).

M. Pérochon, prix Goncourt, n’apporte pas comme son co- lauréat de 1919, Marcel Proust, une formule nouvelle dans notre littérature, mais il s’insère avec honneur dans la tradition du roman paysan.