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238 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Qu'est-ce que cela signifie ? Quel est ce voyageur et quel était son vœu ? Je ne saurais le dire, ni vous, ni le poète non plus ; c'est tout juste une lueur qui reste isolée et sans explication ; et point n'est besoin d'explication du moment où la lueur est assez claire et assez aiguë. On voit la chose, et on la sent — le silence, le cheval broutant l'herbe blanche, la voix soudaine de Thomme qui appelle, et le mouvement inquiet et excité des fantômes sur l'escalier et dans les cor- ridors de la maison abandonnée, les fantômes qui écoutent et qui savent bien que le voyageur frappe, mais qui ne peu- vent lui répondre ni lui ouvrir. Il suffit, l'expérience est rendue. Nous vsavons bien, et le poète aussi, qu'il y a cin- quante significations à lui donner beaucoup plus intenses et plus distinctes qu'elles ne le seraient, si on essayait de les rendre par de simples mots. Et c'est là que se dévoile la qualité de ce poète.

J'ajoute en terminant, que, par ses ancêtres, M. de La Mare

Ne se pencha ni ne regarda dans ses yeux gris,

Ne regarda là où il se tenait perplexe et immobile.

Seule une troupe de fantômes écouteurs,

Qui hantaient abors la maison abandonnée,

Dans le calme du clair de lune, se tenait aux écoutes,

A cette voix venue du monde des humains :

Ils peuplaient le sombre escalier baigné de rayons de lune,

L'escalier qui conduit au hall vide,

Tendant l'oreille à travers l'air qui semblait bouger et frémir

A l'appel du voyageur solitaire.

Cependant que son cheval errait çà et là, broutant les fougères

Au-dessus du ciel ombreux et semé d'étoiles ; [dans les ténèbres,

Il devait sentir dans son cœur l'étrangeté de ces fantômes,

La réponse que leur silence adressait à son cri,

Car il cogna soudain à la porte plus fort

Encore, et leva la tête : —

« Dites-leur que je suis venu et que personne n'a répondu,

Que j'ai tenu parole » dit-il.

Pas le plus léger bruit parmi les écouteurs,

Bien que chaque mot qu'il prononçât,

Lui le seul homme demeuré en état de veille,

Répercutât son écho à travers les ombres de la maison silencieuse.

Ils entendirent son pied sur l'étrier,

Le son du fer sur la pierre,

Et le silence qui reflua doucement en arrière,

Lorsque le bruit précipité des sabots du cheval se lut évanoui.

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