Page:NRF 16.djvu/288

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

282 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

SocRATE. — je me suis laissé parler... Nous avons l'éternité pour discourir sur le temps. Nous sommes ici pour épuiser nos esprits, à la manière des Danaïdes.

Phèdre. — L'objet ?

SocRATE. — L'objet gît sur le bord où je marchais, où je me suis arrêté, où je t'ai parlé longuement d'un specta- cle que tu connais aussi bien que moi, mais qui, rappelé dans ce lieu, emprunte une sorte de nouveauté de ce fait qu'il est à jamais disparu. Attends donc, et dans quelques mots, je vais trouver ce que je ne cherchais pas.

Phèdre. — Nous sommes bien toujours sur le rivage de la mer ?

Socrate. — Nécessairement. Cette frontière de Neptune et de la Terre, toujours disputée par les divinités rivales, est le heu du commerce le plus funèbre, le plus incessant. Ce que rejette la mer, ce que la terre ne sait pas retenir, les épaves énigmatiques ; les membres affreux des navires disloqués, aussi noirs que le charbon, et tels que si les eaux salées les avaient brûlés ; les charognes horriblement becquetées, et toutes lissées par les flots ; les herbages élastiques arrachés par les tempêtes aux pâtis transparents des troupeaux de Protée ; les monstres dégonflés, aux couleurs froides et mourantes ; toutes les choses enfin que la fortune livre aux fureurs littorales, et au litige sans issue de l'onde avec le rivage, sont là portées et déportées ; élevées, rabaissées ; prises, perdues, reprises selon l'heure et le jour ; tristes témoins de l'indifférence des destinées, ignobles trésors, et les jouets d'un échange perpétuel comme il est stationnaire...

Phèdre. — Et c'est là que tu as trouvé ?

Socrate. — Là même. J'ai trouvé une de ces choses rejetées par la mer ; une chose blanche, et de la plus pure blancheur ; pohe, et dure, et douce, et légère. Elle brillait au soleil, sur le sable léché, qui est sombre, et semé d'étin- celles. Je la pris ; je soufflai sur elle ; je la frottai sur mon manteau, et sa forme singulière arrêta toutes mes autres

�� �