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BILLETS A ANGÈL 339

venir. Marcel Proust dit à ce sujet les choses les plus justes.

Mais je ne crois pourtant pas que l'œuvre classique soit nécessairement méconnue d'abord. Boileau, Racine, La Fontaine, Molière même, ont été tout aussitôt apprér ciés ; et si nous reconnaissons dans leurs écrits bien des vertus qui n'étaient pas celles auxquelles on était d'abord le plus sensible, c'était à eux, qui nous paraissent aujourd'hui les plus grands, qu'allaient tout aussitôt les louanges. Malgré l'effort assez inintelligent de Gautier, de vouloir parmi les « grotesques » du xvii'^ siècle découvrir des génies ignorés, ceux-ci ne font nullement auprès de nos grands classiques la figure que fait un Baudelaire auprès d'un Ponsard ou d'un Baour-Lormian. C'est que le public même était clas- sique, avait le goût de la chose classique ; c'est que les qua- lités qu'il aimait et exigeait de l'œuvre d'art étaient celles-là même qui nous la font considérer comme classique aujour- d'hui.

Aujourd'hui le mot « classique » est en tel honneur, on le charge aujourd'hui d'un tel sens, que peu s'en faut qu'on n'appelle classique toute œuvre grande et belle. C'est absurde.-Il y a des œuvres énormes qui ne sont point clas- siques du tout. Sans être plus romantiques pour cela. Cette classification n'a de raison d'être qu'en France ; et, même en France, quoi de moins classique souvent que Pascal, que Rabelais, que Villon. Ni Shakespeare, ni Michel- Ange, ni Beethoven, ni Dostoïewsky, ni Rembrandt, ni même Dante (je ne cite que les plus grands), ne sont classiques. Le Don Quichotte, non plus que les pièces de Calderon, ne sont classiques — ni romantiques ; mais espagnols, tout purement. A dire vrai je ne connais, depuis l'antiquité, d'autres classiques que ceux de France (si tou- tefois j'excepte Gœthe — et encore i! ne devenait classique que par imitation des anciens). Le classicisme me paraît à ce point une invention française, que pour un peu je ferais synonymes ces deux mots : classique et français, si le pre-

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