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RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE 34^

Lorenz, élève de Ranke, part d'une vue très ju^te de ce der- nier qui place en 1515, à l'avènement de François I" et de Charles-Quint, le début des temps modernes, l'éclosion brusque d'une génération nouvelle, celle de la Réforme : génération qui fait passer à l'acte les découvertes de l'imprimerie et de l'Amé- rique. Or, depuis cette date de 1515, l'histoire de l'Europe a toujours ramené au bout d'un siècle (soit de trois générations) un tournant décisif analogue, une autre date capitale, à deux ou trois années près : peu après 1615, commencement de la guerre de Trente ans ; en 171 5, mort de Louis XIV et liquidation du xvii« siècle ; en 181 5 fin du bouleversement révolutionnaire et commencement du xix^ siècle; en 1914-1915 la grande guerre. Tous les centenaires de 1 5 1 5 coïncideront avec des épo- ques de coupure. Je ne donne ces indications qu'avec la plus grande réserve et même avec quelque sourire. Il n'y a là peut- être que des coïncidences, et l'on ferait des réflexions analogues sur les retours 1548-1648-1748-1848, qui marquent trente-trois ans après les premiers l'arrivée d'une génération nouvelle. Ce qui est délicat c'est qu'en histoire, au contraire de ce qui se passe dans la nature, les lois comportent toujours de nombreuses exceptions, qui ne confirment pas la règle, et qu'il sera toujours loisible de prendre comme des exemples qui au contraire l'in- firment. Comme le dit justement M. Mentré « la théorie des générations- aura toujours pour adversaires ceux qui veulent introduire partout la rigueur mathématique : les nombreuses exceptions à la loi les décourageront. C'est oublier que le con- cept de loi perd de sa rigidité à mesure que l'objet des sciences devient plus complexe : la loi biologique est plus souple que la loi physique et celle-ci que la loi mécanique. » Mais les syn- thèses incertaines — telles celles de l'histoire — qu'on trouve à la limite peuvent-elles encore être appelées des lois ?

C'est ainsi que rien ne paraît plus incertain que cette unité de trois générations qu'on appelle un siècle. Je conçois très bien que, comme le dit Lorenz, « le siècle est l'expression de la liaison matérielle et spirituelle entre trois générations d'hom- mes. » Mais dans un ensemble de six générations A B C D E F, ne pourrai-je pas appeler siècle aussi bien la succession B C D que les deux successions A B C et D E F ? Tel n'est pas l'avis de M. Mentré qui croit à l'existence réelle des siècles, que « les

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