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RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE 353

nous regardons les directions précises de la jeunesse en un temps donné, nous les voyons toujours beaucoup plus diver- gentes que ne paraissent l'impliquer tantôt une simplification artificielle, tantôt un égocentrismc naïf. « Ma génération » dans la bouche d'un écrivain est souvent l'équivalent de « Le gouvernement de la République » dans la bouche d'un ministre. C'est une périphrase sonore qui ne désigne que lui-même, un exposant collectif donné à ses fantaisies personnelles. M. Gi- raud, ayant fait sous ce titre : les Maîtres de l'Heure, une suite d'études sur Loti, Brunetière, Faguet, Vogué, Bourget, Lemaî- tre, Rod, France, conclut que la génération qui était adoles- cente vers 1870 est une génération classique en art, réaction- naire à l'intérieur, patriote à l'extérieur.

Et l'on ne serait pas embarrassé pour tirer d'autres noms moins académiques, et de ces noms académiques eux-mêmes, des conclusions fort différentes sur le caractère de ladite généra- tion. En réalité une génération forme un tout d'une vaste ampli- tude, une sorte de Conférence Mole pour les jeunes, de Parle- ment pour les vieux, ayant sa droite, son centre, sa gauche, son extrême-gauche. Il n'y a pas de génération de droite ou de géné- ration de gauche. Et pourtant il est bien vrai qu'une génération a ses traits particuliers, mais des traits qui naissent d'un mouve- ment, et ne se ramènent pas à des choses ou à des idées. Je tente ailleurs un portrait de ce genre, et il est certain que tout ce que j'écrirai à ce sujet, d'un point de vue différent de celui de M. Mentré, comportera au moins autant de difficultés et susci- tera autant de réserves que son travail. Nul problème ne saurait consentir autant que celui des générations à être rectifié lui- même par les générations successives et à porter le reflet parti- culier de l'esprit qui le traite.

ALBERT THIBAUDET

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