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404 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

il cumulait de copieux appointements. Les Lettres à Pau- line viennent bouleverser toutes nos idées sur le budget d'Henri Beyle. En 181 1 il ne gagnait pas plus de six à huit mille francs par an, et il en dépensait quinze mille. Les usuriers comblaient la différence.

C'est que M. de Beyle menait la fastueuse existence d'un dandy. Il déjeunait au café à la mode, promenait sur les boulevards un élégant cabriolet, et entretenait une chanteuse, qu'il nourrissait de perdreau froid. Cela encore, nous le savions, mais nous pensions qu'il le faisait pour son plaisir. Nous apprenons aujourd'hui que c'était pour plaire à ses chefs. Napoléon n'aimait point les gueux; il savait que les fortunes bien assises sont le meilleur soutien des gouvernements établis ; il lui plaisait que ses fonctionnaires fussent des fils de famille. Et Beyle bluffa, pour faire croire au gouvernement impérial qu'il était digne des plus hautes fonctions.

Les Lettres à Pauline nous ouvrent donc un jour nou- veau sur l'art de devenir préfet, au temps du Premier Empire, ou du moins sur la méthode que Beyle croyait la plus efficace, — et apparemment la plus agréable, — pour atteindre à ce but suprême de ses ambitions.

Car Beyle était ambitieux, et c'est le second aspect de son caractère sur lequel ces nouvelles lettres sont pleines de confidences révélatrices. Il était ambitieux comme il aimait l'argent, à sa manière. L'ambition, c'était pour lui d'abord l'amusement de sa fantaisie. Mais il se piquait bientôt à ce jeu. Et, par un devoir d'orgueil, comme il se jurait d'avoir une femme, il se promettait d'obtenir un grade ou une préfecture. S'il n'obtenait pas plus la femme que la place, il avait connu tout au moins l'âpre plaisir de la chasse, et il se jetait à un nouveau caprice. En pleine partie, l'ingéniosité de ses manœuvres, son entêtement passionné ', pouvaient

I. « J'ai eu, pendant quatre ans, une conduite suivie, je n'ai fait de dépenses que pour cela. Je n'ai pas agi un quart d'heure... sans songer au but que je voulais atteindra. »

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