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SI LE GRAIN NE MEURT... 43'

crayon, marquant la besogne à abattre, comme on désigne dans une coupe de bois les arbres condamnés ; puis disait en se levant, tandis que sonnait la pendule :

— Pour la prochaine fois, vous 'étudierez les huit mesures suivantes.

Jamais la moindre explication. Jamais le moindre appel, je ne dis pas à mon goût musical ou à ma sensibilité (Comment en eût-il été question ?) mais non plus seu- lement à ma mémoire ou à mon jugement. A cet âge de développement, de souplesse et d'assimilation, quels progrès n'eussé-je point faits, si ma mère m'avait aussitôt confié au maître incomparable que fut pour moi, un peu plus tard (trop tard, hélas !) M. de la Nux. Hélas ! après deux ans d'ânonnements mortels, je ne fus délivré de Merriman que pour tomber en Schifmacker.

Je reconnais qu'en ce temps il n'était pas aussi facile qu'aujourd'hui de trouver un bon professeur ; la Schola n'en formait pas encore ; l'éducation musicale de la France entière restait à faire, et, de plus, le milieu où fréquentait ma mère n'y entendait à peu près rien. Ma mère indé- niablement faisait de grands efforts pour s'instruire elle- même et m'instruire ; mais ses efforts étaient mal dirigés. Schifmacker lui était chaudement recom.mandé par une amie :

— Croiriez -vous, disait-elle à ma mère qu'il a su m'y faire prendre goût ? A moi ! A la musique ! Un homme extraordinaire, je vous dis. Essayez-en.

Le premier jour qu'il vint chez nous, il nous exposa son système. C'était un gros vieux homme ardent, essoufflé, qui rougeoyait comme une forge, qui bredouillait, sifflait et postillonnait en parlant. On eût dit qu'il était sous pres- sion et laissait échapper sa vapeur. Il portait les cheveux en brosse et des favoris ; tout cela, blanc de neige, avait l'air de fondre sur sa face qu'il lui fallait sans cesse éponger. Il disait :

— Les autres professeurs, qu'est-ce qu'ils racontent ?

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