Page:NRF 16.djvu/52

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

u\6 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

côté du piano, et écarta les autres, « pour qu'il comprît bien où il devait s'asseoir, » disait-elle. La première leçon tout alla bien, la chaise tenait bon et résistait à la pression et à l'agitation de ce gros corps. Mais la fois suivante il se passa quelque chose d'épouvantable : la molesquine, amollie sans doute par la chaleureuse leçon précédente, commença de lui coller aux chausses. On ne s'en aperçut, hélas ! qu'à la fin de la séance, au moment qu'il voulut se lever. Vains efforts ! Il tenait à la chaise, et la chaise tenait à lui. Son mince pantalon (nous étions en été) si l'étoffe en était un peu mûre, le fond allait y rester, c'était sûr ; il y eut quelques minutes d'angoisse... Et puis, non ! sur un nouvel effort, ce fut la molesquine qui céda, doucement, doucement, abandonnant du sien, comme par conciliation. Je maintenais la chaise, encore trop consterné pour oser rire ; lui, tirait de l'avant, disait :

— Mon Dieu ! Mon Dieu ! qu'est-ce que c'est encore que cette invention d'enfer ? — et tâchait, par-dessus son épaule, de surveiller le décollement, ce qui rendait sa face plus rouge encore.

Tout se passa sans déchirure, heureusement, et sans dom- mage, que pour la molesquine dont il emportait après lui tout l'apprêt, laissant sur le siège, imprimée, l'image en négatif de son énorme derrière.

Le plus curieux, c'est qu'il ne se fâcha qu'à la leçon sui- vante. Je ne sais ce qui lui prit ce jour là, mais, après la leçon, comme je le raccompagnais dans l'antichambre, subitement il éclata en invectives d'une violence extrême, déclara qu'il y voyait clair dans mon jeu, que j'étais « un faux bonhomme, » qu'il ne supporterait pas plus longtemps ■qu'on se fichât de lui et qu'il ne remettrait plus les pieds dans une maison où on le traitait en paltoquet.

Effectivement il ne reparut plus ; et nous apprîmes par les journaux, à quelque temps de là, qu'il s'était noyé pen- dant une partie de canotage.

Je n'entrais guère dans le salon qu'à cause du piano

�� �