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Page:NRF 16.djvu/55

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SI LE GRAIN NE MEURT... 49

qui pouvait passer pour tel. La bordure avait fait effort pour se raccorder au velours, c'est-à-dire qu'il y avait, mordant la bordure, en guise d'amorce ou de provocation, une régu- lière indentation de faux prolongements du velours ; mais le velours, lui, n'avait fait aucun effort pour s'harmoniser avec la bordure ; il avait préféré s'assortir aux fauteuils de velours de Gènes, adoptant leur couleur havane, tandis que les amorces restaient vert chou.

Tandis que ma tante et ma mère faisaient une partie de cartes (par principe elles ne travaillaient à aucun ouvrage, le dimanche) Albert et moi, nous nous plongions dans les trios, les quatuors et les symphonies, de Mozart, Ae Beethoven et de Schumann, déchiffrant avec frénésie tout ce que les éditions allemandes ou françaises nous offraient d'arrangements à quatre mains. J'étais devenu à peu près de sa force, ce qui n'était du reste pas beaucoup dire, mais ce qui nous permettait de goûter ensemble des joies musicales qui sont restées parmi les plus vives et les plus profondes que j'aie goûtées dans ma vie. Tout le temps que nous jouions, ces dames n'arrêtaient pas de causer ; leurs voix s'élevaient à la faveur de nos fortissimos ; mais dans les pianissimos, hélas ! elles ne baissaient guère et nous souffrions beaucoup de ce défaut de recueillement. Il ne nous arriva que deux fois de pouvoir jouer dans le silence ; oh ! ce fut un ravissement. Maman m'avait laissé pour quelques jours, dans les circonstances que je vais dire, et Albert, deux soirs de suite, avait eu la gentillesse de venir dîner avec moi ; a-t-on compris ce qu'était pour moi mon cousin, on comprendra du même coup quelle fête ce put être de l'avoir ainsi pour moi tout seul, et qui n'était venu que pour moi. Nous prolongeâmes la soirée fort avant dans la nuit, et nous jouâmes si suavement que les anges durent entendre.

C'est à La Roque qu'était allée maman ; une épidémie de fièvre typhoïde s'était déclarée sur une de nos fermes et maman ne l'avait pas plus tôt appris, qu'elle était partie

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