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NOTES SUR UN ÉVÉNEMENT POLITIQUE ' 57 1

Mais contrainte au maximum, et punie, comme nous la voulons, elle nous est, si peut-être moins nuisible, en tout cas tout aussi inutile. La « main au collet » n'est pas, à soi seule, ce qui peut nous la rendre plus avantageuse; il y faut joindre un peu de compréhension, de complicité avec ses habitudes ; il faut chercher son plan de roulement.

Nous sommes pareils à ces malades que le manque de sommeil rend maladroits ; nous aurions besoin avant tout d'un peu d'oubli. Il faudrait que nous ne nous rendissions plus un compte aussi exact de ce que nous avons souffert ; 1 faudrait que nous n'eussions plus un souci aussi vif, aussi direct de nos plaies. C'est de l'avenir seulement que nous en pouvons attendre la guérison et l'avenir ne se construit jamais à- la ressemblance littérale, ni pour l'exacte compen- sation du passé. Il faut faire un certain crédit à ses artisans, il faut cesser de voir en eux uniquement des coupables, des forçats et renoncer à leur prescrire leur tâche dans tous ses détails, à les conduire par des voies une fois pour toutes décrétées.

Il s'agit en ce moment, pour tout le monde, mais spécia- lement pour nous, de revivre. Nous revivons en général assez facilement, après les grandes crises, mais toujours dans nos anciens moules, donc à l'étroit, chichement, et par suite encore agressivement. Surmontant quelques répu- gnances et l'amertume de nos souvenirs, ne pourrions- nous pas profiter, pour une fois, de ce « devenir » dont l'Allemagne surabonde et que la chance met à notre disposition ? Ne pourrions-nous pas voir ce qu'il advien- drait d'une greffe temporaire de nos qualités sur sa sève ? Et puisqu'il s'agit de réparations, ne serait-ce point par cet emprunt-là que nous nous trouverions en fin de compte le mieux payés ?

JACQUES RIVIÈRE

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