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SI LE GRAIN NE MEURT... 53

L'an suivant j'allai moins au concert ; davantage au théâtre, à l'Odéon, aux Français, à l'Opéra-Comique sur- tout, où j'entendis à peu près tout ce qu'on voulait bien donner du répertoire vieillot de l'époque, Grétry, Boïel- dieu, Hérold, dont la grâce m'emplissait d'aise, qui m'em- plirait aujourd'hui d'un ennui mortel. Oh ! ce n'est pas à ces maîtres charmants que j'en ai, mais à la musique dra- matique ; mais au théâtre en général. Y ai-je été trop naguère ? Tout m'y paraît éventé, conventionnel, outré, fastidieux... Si par mégarde encore parfois je m'y aventure, et si quelque ami ne me retient, j'ai bien du mal à attendre le premier entr'acte pour m'éclipser du moins décemment. Il a fallu dernièrement le Vieux Colombier, l'art et la ferveur de Copeau et la bonne humeur de sa troupe pour me réconcilier un peu avec les plaisirs de la scène. Mais je réserve les commentaires et reviens à mes souvenirs.

Depuis deux ans un enfant de mon âge venait passer près de moi les vacances ; maman, qui s'était ingéniée à me procurer ce camarade, y voyait un double avantage: faire profiter du bon air de la campagne un enfant peu fortuné qui sinon n'aurait pas quitté Paris de tout l'été, et m'arra- cher aux trop contemplatives joies de la pêche. Armand Bavretel avait pour fonction de me remuer. Fils de pasteur, nécessairement. Il vint la première année avec Edmond Richard ; la seconde avec Richard l'aîné, chez qui j'étais déjà pensionnaire. C'était un enfant d'aspect plutôt frêle, aux traits délicats, fins, presque jolis ; son œil très vif et son aspect craintif lui donnaient lair d'un écureuil ; il était de naturel espiègle et devenait rieur sitôt qu'il se sentait à l'aise, mais le premier soir, tout dépaysé dans le grand salon de La Roque, malgré l'accueil affectueux d'Anna et de ma mère, le pauvre petit éclata en sanglots. Comme j'y allais aussi de toute mon affection, je fus plus que surpris •et presque choqué par ces larmes ; il me semblait qu'il

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