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RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE ' 399

tenté par le roman. La critique les étudie dans leur réalité, c'est-à- dire dans un passé, dans leur nature, dans l'acte même du génie et de l'intelligence. Le roman les prend dans une possibilité, c'est- à-dire dans le vague et l'abstraction; l'homme de génie qu'il crée nous donnera l'impression de tout sauf du génie. C'est le cas du roman de M. Jaloux. M. Jaloux a écrit l'histoire d'un vieil homme amoureux d'une très jeune fille, et qui, ayant cons- cience de l'inconvenance d'une telle union, la cède à un jeune homme : l'histoire de la Massière, si vous voulez. Il a fait la jeune fille tendrement admiratrice du vieillard, et cela aussi à l'occasion donnera une création vivante : le sacrifice (car c'est toujours après tout un sacrifice) peut être accepté ou provoqué, reconnaissant ou joyeux, le cœur présentant mille détours imprévisibles et subtils. C'est un bon sujet de roman ou de théâtre, qui peut être indéfiniment traité, indéfiniment réussi. Mais l'auteur a pensé le renouveler en disposant les personnages et les sentiments autour de la présence du génie. Et le génie n'ajoute rien à l'intérêt du sujet.

Le génie de ce roman est un génie conventionnel qui n'a encore jamais existé, à savoir l'union d'un abondant génie artistique et d'un grand métaphysicien. Nous pouvons supposer qu'un génie qui soit au roman ce que Platon fut au dialogue et qui y mette une puissance métaphysique aussi intense existe quelque jour. Mais tant qu'il n'est pas réel il n'est pas possible, il n'est pas vraisemblable, il ne s'accorde pas à la nature qui nous est donnée, et dans laquelle nous vivons. Le roman- cier ne saurait animer en un tel sujet l'homme de génie, il peut animer l'homme, ce qui est différent, mais alors le génie devient quelque chose de surajouté, qui est placé là pour bien faire et comme une décoration extérieure : un amou- reux a du génie comme il a la rosette rouge ou comme il est de l'Institut. Je ne puis voir le génie incorporé à une vie que si cette vie et ce génie ont existé, si j'étudie en critique Shakes- peare, Rousseau ou Goethe.

La clef des romans de ce genre se trouve dans la dédicace de \2i Fin iV un Beau Jour zvi chzrmznl esprit qu'est M.Jean-Louis Vaudoyer. L'auteur souhaite que son ami donne place dans sa mémoire à Joachim Prémer}- et à Olive Hallencourt simple- ment, dit-il « parce qu'ils témoignent tous deux d'un même

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