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Je ne parle du classicisme de Baudelaire que selon la vérité pure, avec le scrupule de ne pas fausser, par ingéniosité, ce qu’a voulu le poète. Je trouve au contraire trop ingénieux, et pas dans la vérité baudelairienne, un de mes amis qui prétend que


Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille


n’est autre chose que le « Pleurez, Pleurez mes yeux et fondez-vous en eau » du Cid. Sans compter que je trouverais mieux choisis les vers de l’Infante dans ce même Cid sur le « respect de sa naissance », un tel parallèle me semble tout à fait extérieur. L’exhortation que Baudelaire adresse à sa douleur n’a rien au fond d’une apostrophe cornélienne. C’est le langage retenu, frissonnant, de quelqu’un qui grelotte pour avoir trop pleuré.

Ces sentiments que nous venons de dire, sentiment de la souffrance, de la mort, d’une humble fraternité, font que Baudelaire est, pour le peuple et pour l’au-delà, le poète qui en a le mieux parlé, si Victor Hugo est seulement le poète qui en a le plus parlé. Les majuscules d’Hugo, ses dialogues avec Dieu, tant de tintamarre, ne valent pas ce que le pauvre Baudelaire a trouvé dans l’intimité souffrante de son cœur et de son corps. Au reste, l’inspiration de Baudelaire ne doit rien à celle d’Hugo. Le poète qui aurait pu être imagier d’une cathédrale, ce n’est pas le faux moyen-âgeux Hugo, c’est l’impur dévot, casuiste, agenouillé, grimaçant, maudit qu’est Baudelaire. Si leurs accents sur la Mort, sur le Peuple, sont si inégaux, si la corde chez Baudelaire est tellement plus serrée et vibrante, je ne peux pas dire que Baudelaire surpasse Hugo dans la peinture de l’amour ; et à


Cette gratitude infinie et sublime
Qui sort de la paupière ainsi qu’un long soupir


je préfère les vers d’Hugo


Elle me regarda de ce regard suprême
Qui reste à la beauté quand nous en triomphons