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RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE 69

bien largement celui dont peuvent manquer les' caractères qu'ils ont tracés ou leur technique littéraire.

Il serait absurde et injuste de chercher dans ces oeuvres la moindre raison de disqualification morale. La loyauté de M. Rolland n'est pas douteuse, pas plus que la logique intérieure de son attitude et l'unité de sa vie. Il a écrit (ou voulu écrire) l'histoire d'une conscience libre pendant la guerre parce que, depuis le commencement de son existence littéraire, depuis sa cor- respondance avec Tolstoï il s'était essayé à être une conscience libre. C'était le premier hémisphère de son univers humain. En même temps il était musicien, s'occupait profondément et ardemment de la beauté musicale, lui consacrait une partie considérable de son activité intellectuelle. Quand ces deux ■domaines se sont confondus et fertilisés l'un par l'autre il a écrit Jean-Chrislophe, œuvre évidemment inégale et cahotée, mais dont la place dans notre paysage littéraire reste considérable. L'histoire d'un musicien et l'histoire d'une conscience s'y fondent et s'y équilibrent harmonieusement, et M. Romain Rol- land ne pouvant répéter cette œuvre, qu'il a prolongée intelli- gemment en dix volumes comme s'il sentait qu'il fallait profiter d'une occasion que son talent ne retrouverait pas, il est fort possible qu'il soit destiné à ne plus rien donner que d'inférieur, et à rester l'auteur de Jcan-Chrislophe.

Il n'en est pas moins vnTi que toutes les fois qu'il s'attaquera à de nobles sujets il courra la chance d'en réussir encore un, et que, même s'il les manque, il nous intéressera et nous instruira. Rien n'était plus difficile que l'histoire d'une conscience libre pendant la guerre, car rien ne paraît moins simple que cette question : Qu'était-ce alors qu'une conscience libre ? Le beau mot de libre-pensée abrite souvent aussi peu de liberté que de pensée. En serait-il de même, ici, du mot de conscience libre ?

J'entends bien qu'une conscience libre c'est une conscience qui cherche à être libre, et on me saura gré sans doute de ne pas citer ici Pascal. En effet voilà bien la vraie définition. Elle cherche avec scrupule à être libre, en scrutant tous les points, tous les coins d'où pourraient lui venir des préjugés et des chaînes. Mais trouve-t-elle si vite cette liberté ? Et surtout était-ce pendant la guerre qu'on avait chance de la trouver ?

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