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SAMUEL BUTLER, par Valery Larhaud (Les Cahiers des Amis des Livres).

Elle est peut-être inattendue mais à coup sûr d’une singulière vérité, cette analogie que signale M. Valery Larbaud dans sa conférence sur Samuel Butler entre Epicure, le philosophe grec prôné par St Jérôme, et l’humoriste anglais. Le peu que nous savons de l’un s’applique bien à l’autre et, sans vouloir pousser trop loin des ressemblances souvent fortuites, il faut avouer que l’on retrouve chez tous deux des traits identiques, qu’il s’agisse de leur morale, de leur vie privée ou même de leur conception générale du monde, comme aussi de leur haine du préjugé, fùt-il placé par la foule au rang des dieux, et de leur culte pour la beauté, la musique, l’amour et l’amitié.

Butler aura toujours, il semble, de passionnes défenseurs et toujours, comme de son vivant, il sera violemment attaqué. Il lui manquera cette rassurante et tranquille gloire posthume qui rappelle la sécurité du rentier ; il ne la recherchait ni ne l’espérait ; même après sa mort il n’en aurait que faire : ses écrits demeurent et leur protestation suffit à écarter une renommée de qualité médiocre.

N’est-il pas plaisant de constater à quel point son seul nom évoqué tourne aisément en grimace le sourire d’un bourgeois anglais de demi-culture, qui se croit lettré, libéral et compréhensif ? Cet homme était un révolté ; sa révolte lui survit et le ton de sa polémique hargneuse indispose comme jadis. Ceux qui ne l’ignorent pas l’adorent ou le détestent, l’adorent quelquefois tout en le détestant, car ses œuvres, nombreuses et variées, son caractère, son esprit, ont une complexité qui permet le choix. Il disait de lui-même : « Je suis l'enfant terrible de la littérature et de la science. Si je ne puis et sais que je ne puis amener les gros bonnets littéraires et scientifiques à me faire l’aumône, je puis et sais que je puis leur lancer de lourds cailloux. »

En vérité, certains de ses défauts restent exaspérants : son parti-pris, d’ailleurs sans nulle mauvaise foi, devient vite insupportable. On n’aime guère à l’entendre parler de Bach ou de Beethoven, tant il met d’aigre obstination à leur échapper, à