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TANTE GERTRUDE

Jean de Ponthieu avait perdu ses parents dans la même année. Ils le laissaient sans fortune et il s’était trouvé dans une situation bien difficile ; mais trop fier pour s’adresser à son oncle après ce qui s’était passé, il s’était mis courageusement à la recherche d’une position qui lui permit d’élever le frère et la sœur dont il restait le seul protecteur. Il avait réussi à obtenir en Belgique un emploi qui, bien que peu lucratif, suffisait au moins pour faire face aux premiers besoins.

Il avait la gérance d’une immense propriété et s’acquittait de sa tâche avec le courage qu’il mettait en toutes choses. Le prince d’A… apprécia bientôt la valeur, l’intelligence et surtout la loyauté de son régisseur ; il en fit son secrétaire, presque son ami, s’intéressant aux orphelins dont ce frère aîné avait la charge, et améliorant de jour en jour sa position.

Jean de Ponthieu, en se résignant comme il l’avait fait à prendre cet emploi subalterne, n’avait eu qu’un scrupule : ce beau nom de Ponthieu dont il était si fier ne pouvait pas être porté par un de ces hauts valets dont la situation, pour être un peu plus relevée, n’en est pas moins servile ! En conséquence, il s’était donné comme nom ses deux prénoms et pour tous il ne fut plus désormais que Jean Bernard. Personne ne te connaissait, personne ne se souciait de lui : l’honneur était sauf ! Il en avait décidé ainsi. Le jour où il pourrait sortir de cette impasse, le jour où il arriverait une situation indépendante, il reprendrait son nom et son litre.

À l’hôtel où il était descendu, on lui apprit l’événement du lendemain et toutes les circonstances qui avaient accompagné ce mariage : M. de Neufmoulins, furieux, avait chassé sa nièce ; celle-ci s’était réfugiée chez sa tante, la vieille demoiselle Gertrude, qui ne voyait pas non plus cette union d’un bon œil, mais avait consenti cependant à y assister.

Jean se sentit tout ému au souvenir de cette Paulette avec qui il avait joué bien des fois durant ses vacances à Ailly, il y avait si longtemps de cela !