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TANTE GERTRUDE

les attendaient tous les deux. Il eût été seul à les supporter, il eût tout accepté, tout enduré héroïquement, mais la pensée de Paule l’affolait !… Il l’aimait éperdument et il lui fallait lui infliger une torture cruelle… se séparer d’elle, pour toujours peut-être !

Il avait affecté une grande confiance pendant qu’elle était là ; il n’avait pas voulu troubler la douceur de leurs épanchements, mais à cette heure le malheureux se débattait, désespéré, cherchant en vain un moyen de sortir de la situation inextricable que lui avaient créée les aveux de Paule.

Dévoré d’inquiétude, la tête en feu, il arpentait fiévreusement sa chambre, se demandant ce qui allait se passer entre la jeune femme et sa vieille parente.

Il n’avait osé bouger de la soirée, redoutant une nouvelle scène, craignant à tout instant de voir Paule arriver. À minuit, il se dirigea vers le château, mais il ne vit plus aucune lumière ; le silence le plus profond régnait partout ; vraisemblablement, chacun dormait.

Il s’assit sur un des bancs de marbre placés à l’entrée des avenues du parc et resta longtemps en contemplation devant la magnifique demeure seigneuriale bâtie par son oncle. Elle se détachait comme une masse imposante, éclairée en plein par les rayons de la lune qui la faisaient encore paraître plus grandiose. Le regard de Jean s’arrêta sur la fenêtre de la chambre où reposait sans doute celle qu’il aimait… Il se vit alors chassé par la vieille châtelaine, emmenant avec lui la charmante créature si bien faite pour le luxe, les richesses, et condamnée à partager sa vie pauvre, son existence misérable, privée de tout ce bien-être auquel elle avait été accoutumée…

Non, il ne pouvait accepter son sacrifice !… Il n’avait vraiment pas le droit de lui faire perdre cet héritage, la possession de tous ces biens que Mlle de Neufmoulins lui ôterait impitoyablement si elle l’épousait, lui, le paria, l’intendant !

Il se leva brusquement. Son visage était livide, ses traits contractés faisaient peine à voir, mais