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Page:Neulliès - Tante Gertrude, 1919.djvu/156

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TANTE GERTRUDE

de l’oublier, d’épouser un homme de son rang qui lui donnerait la place qu’elle devait occuper dans la vie, qui la ferait riche et honorée…

De retour auprès d’elle, il lui avait annoncé son départ obligé, mais il n’avait plus exigé le sacrifice… il l’avait laissée maîtresse de sa destinée, s’engageant à venir la chercher si elle l’aimait toujours, si elle le préférait à tous…

Que s’était-il passé, qui avait pu ainsi changer sa décision ?… Et prenant dans ses deux mains brûlantes sa tête lourde de pensées inquiètes, livrée à des suppositions contradictoires, à des alternatives d’espérance et de découragement, Paule songeait, songeait…

— Mademoiselle fait prévenir madame qu’on l’attend au salon.

La jeune femme tressaillit à ces mots prononcés par la servante qu’elle n’avait pas entendue entrer.

— Bien, j’y vais.

Et Paule, brusquement arrachée à sa rêverie, se leva, chancelante, bouleversée à l’idée de revoir ce comte de Ponthieu dont elle avait presque oublié la visite…

— Encore une épreuve ! pensa-t-elle en se dirigeant d’un pas automatique vers le salon qui se trouvait au rez-de-chaussée.

Puis le souvenir de son nom se présentant soudain à son esprit, son cœur se serra encore plus.

— Il s’appelle Jean, lui aussi, murmura-t-elle. Quelle dérision !

Arrivée devant la porte, elle s’arrêta. Une émotion étrange la faisait trembler, elle se sentait défaillir… elle devait être livide ! Elle posa une main sur son cœur pour en comprimer les battements qui semblaient l’étouffer… Sa pensée vola vers celui qu’elle aimait et qui était parti loin d’elle, dans l’inconnu, chercher sans doute un nouveau gagne-pain, errant triste et pauvre…

— Mon Jean, mon bien-aimé, je vous serai fidèle ! murmura-t-elle comme dans une sorte de protestation, et pour se donner du courage. Quoi qu’il arrive, je serai votre femme !…

Faisant alors un effort surhumain, elle entra dans le salon où l’attendait le comte de Ponthieu.