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TANTE GERTRUDE

avec ses grands yeux bruns, frangés de longs cils recourbés ; sa magnifique chevelure noire flottait librement sur ses épaules, son chapeau de paille à large bord, qu’elle avait rejeté en arrière pour être plus à l’aise, lui formait une sorte d’auréole, et son sourire, tout à la fois tendre et espiègle, ajoutait encore au charme inconscient de sa physionomie expressive.

— Oh ! Jean, regarde la belle gravure de mode qui s’avance !

En ce moment, un léger tilbury croisa la voiture du régisseur, qui avait mis son cheval au pas pour monter la côte.

Une jeune femme aux cheveux teints, au visage poudré, à la toilette excentrique, dévisagea les jeunes gens d’un air légèrement insolent à travers le face-à-main au long manche d’écaille.

— Pas mal cette petite ! murmura-t-elle. Et se tournant vers son compagnon, à qui un faux-col raide, d’une hauteur ridicule, donnait une tournure grotesque :

— Qui est-ce donc ?

— Sans doute une parente de cet intendant du prince d’A…

Ces mots arrivèrent distinctement aux oreilles de Jean et une vive rougeur empourpra ses joues, tandis qu’un éclair brillait dans ses prunelles sombres.

— Je suis sûre que le monsieur qui accompagne la gravure de mode a avalé un manche à balai ! dit Madeleine, qui n’avait rien entendu.

— Pauvre homme ! il doit avoir le torticolis, ajouta gaiement Gontran.

Mais Jean, les sourcils froncés, le regard vague, avait perdu tout son entrain, et semblait plongé dans une profonde rêverie, que les enfants n’osèrent troubler.

Ce mot d’« intendant » l’avait cinglé comme un coup de fouet, son orgueil se révoltait soudain. Un regret lui venait à cet instant de n’avoir pas accepté la clause du testament. Et la vision de ce château dont il serait à cette heure le propriétaire, de ce vaste domaine où il régnerait en maître, se dressa devant lui !… Il se vit dans ce grand salon somp-