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TANTE GERTRUDE

Depuis un mois, Mlle Gertrude était en possession de l’héritage de son frère ; depuis un mois, elle régnait en maîtresse dans le grand château tant désiré par elle ; elle se trouvait enfin à la tête de cette immense fortune, objet de ses convoitises ! Certes, il y avait loin de sa petite maisonnette, antique et modeste, à ce palais superbe dont les hautes tourelles se dressaient orgueilleusement au sommet de la colline dominant la vallée et les villages aux alentours.

En parcourant ces pièces luxueuses, ornées de tableaux et de statues de prix, ces magnifiques galeries décorées avec un goût princier, elle avait haussé les épaules en murmurant :

— Je vous demande un peu la figure que devait faire ce vieux fou de Jean dans tout cet étalage ! Si ça a du bon sens !

Et, à la vue de la vaisselle d’argent finement ciselée, des cristaux délicatement taillés qui s’étalaient dans les vitrines des larges buffets de vieux chêne sculpté, elle avait eu un rire sarcastique :

— Un tel luxe de plats pour les pommes de terre qui composaient le menu journalier du vieil avare, c’était un comble, vraiment !

En querelle perpétuelle avec son frère, Mlle Gertrude n’avait jamais pénétré dans cette partie du château ; M. de Neufmoulins, dont la marotte pendant les dernières années de sa vie avait été la construction et l’aménagement de cette merveilleuse résidence ne l’avait jamais habitée ; il vivait dans le vieux bâtiment presque en ruine qui avait été, au moyen âge, une des curiosités de la contrée et qu’on appelait l’Abbaye.

Bâtie d’abord par des moines, comme son nom l’indiquait, l’Abbaye avait été ensuite occupée par des seigneurs qui l’avaient religieusement conservée dans son état primitif ; mais la Révolution en avait détruit une partie. La chapelle, le cloître, la salle du chapitre avec ses curieuses fenêtres ogivales et son plafond à caissons subsistaient toujours et attiraient chaque année quantité de touristes, d’archéologues et de savants.

Quelques cellules et quelques autres pièces restaurées par M. de Neufmoulins lui servaient d’ha-