Page:OC Flavius Josephe, trad. dir. Theodore Reinach, tome 1.djvu/27

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c’est-à-dire deuil[1]. Il leur naquit également des filles[2]. Les deux frères se plaisaient à des occupations différentes : Abel, le plus jeune, était zélé pour la justice et, dans l’idée que Dieu présidait à toutes ses actions, il s’appliquait à la vertu ; sa vie était celle d’un berger. Caïn était en tout d’une grande perversité et n’avait d’yeux que pour le lucre ; il est le premier qui ait imaginé de labourer la terre ; il tue son frère pour le motif suivant. Comme ils avaient décidé de faire des offrandes à Dieu, Caïn apporta les fruits de la terre[3], et ceux des arbres cultivés ; Abel, du lait[4] et les premiers-nés de ses troupeaux. C’est cette offrande qui plut davantage à Dieu : des fruits nés spontanément et selon les lois naturelles l’honoraient, mais non pas des produits obtenus par la cupidité d’un homme, en forçant la nature. Alors Caïn, irrité de voir Abel préféré par Dieu, tue son frère : ayant fait disparaître le cadavre, il croyait que le meurtre resterait ignoré[5]. Mais Dieu, qui savait le crime, alla trouver Caïn, et lui demanda où pouvait être son frère ; depuis plusieurs jours, il ne


    propriées, arrive à dénaturer singulièrement le mot hébreu כין. L’étymologie qu’il donne de ce nom est d’ailleurs conforme à la racine hébraïque קין et à l’explication qu’en donne la Genèse elle-même (IV, 1).

  1. Πένθος « Deuil » est aussi le terme dont se sert Philon pour expliquer le nom d’Abel : De migr. Abr., § 13 : ὄνομα δ’ἐστὶ τοῦ τὰ θνήτα παθοῦντος « C’est le nom de celui qui pleure un mort ». Le traducteur de l’Ecclésiastique rend également par πένθος. Ils ont tous confondu הבל qui signifie « souffle, vanité » avec אבל qui se traduit en effet par « deuil ». Dans le ms. R (Paris) de Josèphe, on lit au lieu de πένθος, ουδὲν ou οὐθὲν, c’est la leçon qu’a choisie Niese, sans s’expliquer, d’ailleurs, sur le sens qu’il lui attribue ( « ne signifie rien » ou « signifie néant ? » ).
  2. Cf. Gen. R., XXII ; Yebamot, 62 a : Rabbi Natan (Tanna du IIe siècle de l’ère chrétienne) dit qu’en qu’en même temps que Caïn et Abel naquirent des filles. Le Livre des Jubilés au ch. IV (commencement) cite le nom d’une fille nommée Avan. Cf. aussi le Livre d’Adam, cité dans Roensch, op. cit., p.  341, 348.
  3. La Bible (Gen., IV, 3) ne parle que des fruits de la terre.
  4. Josèphe, par une curieuse variante, a dû lire ici dans l’hébreu ןָכחֵלַבֵחֶן au lieu de וּמֵֽחֶלְבֵהֶן. Les LXX traduisent, conformément à notre texte de la Bible : καὶ ἀπὸ τῶν στεάτων αὐτῶν « et de leurs graisses ». Des exemples de ce genre sont de nature à prouver l’indépendance de Josèphe à l’égard de la Septante.
  5. Le même trait se lit dans le Pirké R. El., ch. XXI. Caïn a enseveli le corps de son frère pour pouvoir nier le meurtre et Dieu lui reproche d’avoir menti et d’avoir cru qu’il ne saurait rien.