Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/131

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point mon escorte ; je serais seul si l’Amour ne m’accompagnait. Je voudrais l’éloigner de moi, que je n’en aurais pas, hélas ! le pouvoir ; on parviendrait plutôt à me séparer de moi-même. L’Amour, les fumées d’un peu de vin dans la tête, une couronne qui tombe de ma chevelure parfumée, voilà toutes mes armes ; qui pourrait les craindre ? Qui n’oserait les braver ? La nuit s’écoule, fais glisser les verrous.

Est-ce ta lenteur ordinaire, ou bien un sommeil contraire à mon amour, qui te rend sourd à mes prières qu’emporte le vent ? Autrefois cependant, je m’en souviens, lorsque je voulais éviter tes regards, au milieu de la nuit, tu m’apparaissais à la clarté des étoiles. Peut-être, à cette heure, une femme repose-t-elle à tes côtés. Combien alors ton sort est préférable au mien ! Que ne puis-je, à ce prix, voir tes chaînes pesantes passer de tes mains aux miennes ! La nuit s’écoule, fais glisser les verrous. Me trompé-je ? La porte n’a-t-elle point tourné sur ses gonds retentissants ? Lourdement ébranlée, ne m’a-t-elle point, de sa voix rauque, crié d’entrer ? Je me trompais, hélas ! c’est le souffle impétueux du vent qui la faisait gronder. Malheureux que je suis ! comme avec le vent s’envolent au loin mes espérances ! Borée, si tu te rappelles encore l’enlèvement d’Orithye, viens à mon aide, et renverse de ton souffle cette porte sourde à ma voix. Partout, dans la ville, règne le silence. Couvertes des perles humides de la rosée, les heures de la nuit s’avancent ; fais glisser les verrous.

Ouvre-moi, ou, plus expéditif que toi, je vais, le fer et la flamme à la main, renverser, incendier cette maison orgueilleuse. La nuit, l’Amour et le vin conseillent les moyens violents ; la nuit ne connaît point la honte, l’Amour et le vin ne connaissent point la crainte. J’ai en vain tout essayé ; prières, menaces, rien n’a pu t’émouvoir, homme plus sourd que ta porte elle-même ! Tu n’étais pas fait pour garder la maison d’une jeune beauté ; défendre l’entrée d’une affreuse prison, voilà ce qui te convenait. Déjà l’étoile du matin paraît à l’horizon, et le coq appelle à sa tâche le pauvre artisan. Toi, couronne que je détache de ma triste chevelure, reste toute la nuit sur ce seuil insensible ; en t’offrant, au point du jour, aux regards de ma maîtresse tu lui apprendras combien j’ai passé ici d’heures inutiles. Adieu, portier ; puisses-tu éprouver toi-même la douleur d’un amant repoussé ; paresseux, qui ne rougis pas d’avoir en vain fait languir mon amour, adieu. Et toi aussi, porte aux gonds cruels et inexorables, porte plus esclave que celui qui veille à ta garde, adieu[1].


ÉLÉGIE VII.

Charge mes mains de fers ; oui, j’ai mérité des chaînes ; si tu

  1. Ovide appelle fores conservae, la porte qui obéit a un esclave.