Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/174

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Est-ce la vertu d’un poison thessalien qui tient aujourd’hui mes membres engourdis ? Dois-je à un enchantement, à une herbe vénéneuse mon triste état ? Quelque sorcière a-t-elle écrit contre moi, sur la cire de Phénicie, de redoutables noms ; ou bien m’a-t-elle enfoncé dans le foie ses aiguilles acérées ? Les trésors de Cérès, frappés par un enchantement, ne sont bientôt plus qu’une herbe stérile : soumises à un enchantement, les eaux d’une fontaine se tarissent ; alors, on voit aussi le gland se détacher du chêne, la grappe tomber de la vigne, et les fruits s’échapper de l’arbre, sans qu’il soit agité ; qui empêche que la magie ne puisse aussi engourdir le corps ? Peut-être a-t-elle ôté au mien sa sensibilité ? A cela joignez la honte ; oui, la honte me devint aussi fatale, et elle fut la seconde cause de mon impuissance.

Qu’elle était belle, quand je la vis ; quand je la touchai, qu’elle était belle ! La tunique qui la couvre ne la touche pas de plus près. Le roi de Pylos, à ce doux contact, aurait pu rajeunir, et Tithon se serait senti des forces au-dessus de son âge. En elle je trouvai une maîtresse ; mais en moi elle ne trouva point un homme ! Quelles prières, quels vœux nouveaux ferai-je aujourd’hui ? Sans doute après le honteux usage que j’en ai fait, les dieux se sont repentis de m’avoir accordé le présent que je tenais d’eux. Je brûlais d’être accueilli par ma maîtresse ; elle m’a accueilli ; de lui donner des baisers ; je lui en ai donné ; d’obtenir toutes ses faveurs ; je les ai obtenues. A quoi m’a servi d’être si heureux, d’être roi sans régner ? Avare, je n’ai fait que posséder tant de richesses. Ainsi, l’indiscret Tantale a soif au milieu des ondes ; ainsi, il voit autour de lui des fruits auxquels il ne peut toucher ; ainsi, l’époux s’éloigne le matin de sa jeune épouse, pour s’approcher saintement de l’autel des dieux. Mais peut-être ne m’a-t-elle pas donné ses baisers les plus doux et les plus brillants ; peut-être n’a-t-elle point mis tout en œuvre pour me stimuler. Le chêne le plus ferme, le diamant le plus dur, les rochers insensibles, elle les eût animés par ses caresses. Elle eût pu émouvoir tout être doué de la vie, tout ce qui est homme ; mais alors je n’étais ni un être vivant ni un homme. Quel plaisir feraient à un sourd les chants de Phémius ? Quel plaisir un tableau ferait-il au malheureux Tamyras ?

Quelles joies cependant ne m’étais-je pas secrètement promises ? Quelle variété de jouissances n’avais-je pas d’avancé imaginées ! et mes membres, ô honte ! sont restés comme morts, plus languissants que la rose qui fut cueillie la veille ! Maintenant qu’il n’est plus temps, les voilà qui se raidissent et qui reviennent à la vie ; les voilà qui redemandent à agir, et à reprendre leur service. Que ne restes-tu plutôt engourdie de honte, misérable partie de