Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/180

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amour en fit naître un pareil dans bien des cœurs. Pourquoi rappellerais-je les honteux mensonges de ta langue perfide, et les dieux, témoins de tes serments violés pour mon malheur ? Pourquoi dirais-je ces signes d’intelligence, adressés, pendant les repas, à de jeunes amants, et ces mots convenus entre vous pour déguiser le sens de vos discours ? On m’avait dit qu’elle était malade : je cours chez elle tout éperdu, hors de moi ; j’arrive : la malade ne l’était pas pour mon rival. Voilà, sans parler de bien d’autres, les affronts qu’il m’a fallu souvent essuyer. Cherches-en un autre qui les endure à ma place ; pour moi, j’ai couronné mon vaisseau de guirlandes votives, et, tranquille au port, il écoute mugir les flots de la mer. N’essaie plus sur moi l’effet de tes caresses et de ces paroles autrefois si puissantes : je ne suis plus aussi insensé que je l’ai été. Je sens mon cœur, trop léger pour cette lutte, partagé entre l’amour et la haine ; mais, je le crois, c’est l’amour qui l’emporte. Je haïrai, si je le puis ; sinon, je n’aimerai que malgré moi. Le taureau non plus n’aime pas le joug : il le hait, et il le porte. Je fuis sa perfidie ; sa beauté me ramène vers elle ; je hais les vices de son âme, et j’aime les grâces de son corps. Ainsi, je ne puis vivre ni sans toi ni avec toi, et je ne sais moi-même ce que je désire. Je voudrais que tu fusses ou moins belle ou moins perfide. Tant de charmes ne vont pas avec des mœurs si dépravées ; ta conduite excite la haine, ta beauté commande l’amour. Malheureux que je suis ! ses charmes ont plus de pouvoir que sa perfidie !

Pardonne-moi, je t’en conjure, par les droits de cette couche que nous avons partagée, par tous les dieux (et puissent-ils se laisser souvent tromper par toi !), par ta beauté que j’adore comme une divinité puissante, par tes yeux qui ont captivé les miens ; quelle que tu sois, tu seras toujours ma bien-aimée. Décide seulement si tu veux que je t’aime par penchant ou par contrainte. Déployons plutôt les voiles, et laissons-nous emporter au souffle des vents, car, malgré mes efforts, je ne me verrais pas moins forcé d’aimer.


ÉLÉGIE XII.

Quel fut, lugubres oiseaux, le jour où vous m’avez prédit pour toujours des amours malheureux ? Quel astre dois-je regarder comme l’ennemi de ma destinée ? Quels dieux dois-je accuser de me faire la guerre ? Celle qui naguère se disait toute à moi, celle que je fus d’abord seul à aimer, je crains d’avoir à la posséder avec mille rivaux.

Me trompé-je, ou mes vers ne l’ont-ils pas rendue célèbre ? Elle était toute à moi ; ma Muse en a fait une courtisane ; c’est ce que je