Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/595

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silence, et n'est guère silencieuse elle-même. Avec trois doigts elle prend trois grains d'encens, qu'elle place sous le seuil, là où la souris effilée se dérobe par le passage qu'elle s'est creusé. [2, 575] Après avoir entouré de bandelettes la sombre roue des enchantements, elle tourne sept fèves noires dans sa bouche; puis elle fait rôtir au feu une tête d'anchois qu'elle a enduite de poix, qu'elle a percée d'outre en outre avec une broche d'airain, et dont elle a cousu la bouche. Elle fait aussi quelques libations de vin, et tout ce qui reste dans les coupes [2, 580] est bu par elle et ses compagnes; mais elle en prend la meilleure part. "Nous avons enchaîné, dit-elle, les langues ennemies et fermé les bouches malveillantes." Ce sont les dernières paroles que murmure la vieille en se retirant, et sa démarche trahit son ivresse.

Mais quelle est donc cette déesse du silence? Je vais vous apprendre ce que j'en ai su par nos vieillards. [2, 585] Jupiter, violemment épris de la nymphe Juturne, avait essuyé des dédains auxquels un dieu si puissant ne devait guère s'attendre. Tantôt elle se cachait dans les forêts parmi les coudriers, tantôt elle se réfugiait au sein des ondes qui la reconnaissent pour souveraine. Jupiter, un jour, rassemble toutes les nymphes du Latium, [2, 590] et, se plaçant au milieu d'elles, il parla ainsi: "Juturne, votre soeur, est l'ennemie d'elle-même, et refuse son bonheur, en refusant d'accueillir dans ses bras le maître de l'Olympe. En me servant, vous servirez votre soeur, et si elle comble mes désirs, elle n'aura plus rien à désirer elle-même. [2, 595] Lorsqu'elle voudra m'échapper, placez-vous donc sur le rivage, afin qu'elle ne puisse se précipiter dans les flots." Il dit; et sa prière est accueillie de toutes les nymphes du Tibre, et de celles qui habitent les bords où Ilia devint l'épouse d'un dieu.

Il y en avait une parmi elles qui s'appelait Lara: la première syllabe de ce mot, [2, 600] deux fois répétée, formait autrefois son nom, et ce nom l'accusait de trop parler. Souvent Almo lui avait dit: "Ma fille, sois discrète, " et sa fille causait toujours. Elle court au lac de Juturne; "Soeur des naïades, s'écrie-t-elle, gardez-vous du bord des fleuves," et elle lui raconte la harangue de Jupiter. [2, 605] De là elle se rend chez Junon, et, jalouse officieuse, "Votre époux, lui dit-elle, est amoureux de Juturne." Jupiter, furieux, lui ôte l'usage de la parole, pour la punir d'avoir trop parlé. Il appelle Mercure: "Conduis-la chez les mânes, dit-il; c'est l'empire du silence; [2, 610] qu'elle reste nymphe, mais nymphe du marais infernal." Jupiter est obéi. Ils partent tous deux; en traversant une forêt, Mercure s'aperçoit qu'elle est belle; il veut la posséder. La naïade agite en vain ses lèvres, elle est muette et n'oppose à la violence qu'un regard suppliant. [2, 615] Devenue mère, elle enfanta deux jumeaux; ce sont les Lares qui gardent nos carrefours et veillent assis au foyer de nos maisons.