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Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/686

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OVIDE.

lira ces vers les joues mouillées de pleurs, et dont les vœux silencieux, de peur des oreilles malveillantes, invoqueront la clémence de César et le soulagement de mes maux. Quel qu’il soit, puisse-t-il n’être pas malheureux un jour, celui qui sollicite l’indulgence des dieux en faveur des malheureux ! Puissent ses vœux s’accomplir ! puisse le ressentiment du prince s’éteindre et me permettre de mourir au sein de la patrie !

Quelque fidèle que tu sois à mes ordres, peut-être, ô mon livre, seras-tu critiqué et mis bien au-dessous de ma réputation. Le devoir du juge est d’examiner les circonstances des faits aussi-bien que les faits eux-mêmes ; cet examen te sauvera. La poésie ne peut éclore que dans la sérénité de l’ame, et des malheurs soudains ont assombri mon existence ; la poésie réclame la solitude et le calme, et je suis le jouet de la mer ,*des vents et de la tempête ; la poésie veut être libre de crainte, et, dans mon délire, je vois sans cesse un glaive menacer ma poitrine. Mais ces vers devront encore étonner le critique impartial ; et, quelque faibles qu’ils soient, il les lira avec indulgence. Mettez à ma place un Homère, et l’entourez d’autant d’infortune que moi-même, tout son génie en serait bientôt frappé d’impuissance.

Enfin, mon livre, pars indifférent à l’opinion et ne rougis pas si tu déplais au lecteur. La fortune ne nous est pas assez favorable pour que tu fasses cas de la gloire. Au temps de ma prospérité, j’aspirais à la renommée, et j’en étais avide ; aujourd’hui, si je ne maudis pas la poésie, ce penchant qui m’a été fatal, cela doit suffire, puisque mon exil est aussi l’œuvre de mon génie. Va cependant, va pour moi, tu le peux du moins, contempler Rome. Dieux ! que ne puis-je, en ce jour, être mon livre !

Ne crois pas cependant, parce que tu arriveras étranger dans la ville immense, que tu puisses y arriver inconnu, sans titre même. Ta sombre couleur te trahirait, si tu voulais renier ton père. Ne t’introduis toutefois qu’avec mystère ; mes anciennes poésies pourraient te nuire, et je ne suis plus, comme jadis, le favori du public. Si quelqu’un, par cela seul que tu viens de moi, se fait scrupule de te lire et te rejette de son sein, dis-lui : « Regarde le titre ; je n’enseigne pas ici l’art d’aimer ; une peine était due à ce livre, et il l’a subie. »

Peut-être veux-tu savoir si je t’ordonnerai de gravir la colline où s’élève le palais de César ? Pardon, séjour auguste ; pardon, divinités de ce séjour ! Mais c’est de cette demeure redoutable que la foudre est tombée sur ma tête. Je connais, sans doute, la clémence des divinités qui y résident, mais je redoute celles qui m’ont frappé. Elle tremble au moindre bruit d’ailes, la colombe que les serres de l’épervier ont


Invenies aliquem, qui me suspiret ademptum,
Carmina nec siccis perlera t ista genis :
Et tacitus sccum, ne quis malus audiat, optet,
Sic mea, lenito Cssare, pœna minor.
Nos quoque, quisquis erit, ne sit miser ille, precamur,
Placatos misero qui volet esse deos.
Quæque volet, rata sint : ablataque principis ira
Sedibus in patriis det mihi posse mori.
Et perages mandata , liber, culpabere forsau,
Ingeniique minor laude ferere mei.
Judicis ofiicium est, ut res, ita tempora rerum
Quœrere ; quæsito tempore, tutus eris.
Carmina proveniuntanimo deducta sereno :
Nubila suntsuhitïs tempora nostra malis.
Carmina secessum scribenrtis et otia quærunt :
Me mare, me venti, me fera jactat hyems.
Carminibus metus omnis abest : ego perditus ensem
Hæsurum jngulo jam puto jamque meo.
Hæc quoque, quod facio, judex mirabitur æquus :
Scriplaque cum venia qualiacumque leget.
Da mibi Mæoniden, et tôt circumspiceeasus ;
Ingenium tantis cxcidet omne malis.
Denique securus famœ, liber , ire memenlo,
Nec tibi sit lecto displicuisse pudor.
Non ita se nobis præbet fortuna secundam,
Ut tibi sit ratio taudis ha ben d a tuæ.
Doneceram sospes, tituli tangebar amore,
Quœrendique mihi nominis ardor erat.
Carmina nunc si non studiumque, quod obfuit, odi,
Sit satis : ingenio sic fuga parta meo.
1 tamen, i pro me tu, cui licet, adspice Romain.
Di facerent, posses non meus esse liber 1
Nec te, quod venias magnam peregrinusin urbetn ,
Ignotuin populo posse venire pu ta.
Ut titulo careas, ipso noscere colore :
Dissimulare velis te licet esse meum.
Clam tamen intrato : ne te mea carmina lædant.
Non sunt, ut quondam plena favoris erant.
Si quis erit, qui te, quia sis meus, esse legendum
Non putet, e greinio rejiciatque suo ,
Inspire, die, titulum : Non sum prsceptor amoris :
Quas meruit pœnas, jam dédit illud opus.
Forsitan exspectes an in alta palatia missum
Scaudere te jubeam Cæsareamque domum.
Ignoscant augusta milii loca, dique locorura :
Venit in hoc ilia futmen ab arce caput.
Esse quidem memini mitissima sedibus illis
Numina, sed timeo qui nocuere deos. 74