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Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/781

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pour que je me croie guéri. Quelque chose que tu ôtes de cet abîme de chagrins dans lequel je suis plongé, tu n’en diminueras pas le nombre. Peut-être qu’à la longue, le temps cicatrisera ma blessure, mais la plaie qui saigne encore frémit sous la main qui la touche. Il n’est pas toujours au pouvoir du médecin de guérir son malade ; le mal est quelquefois plus fort que la science. Tu sais que le sang que rejette un poumon délicat est l’avant-coureur de la mort. Le dieu d’Épidaure lui-même apporterait ses végétaux sacrés, que leurs sucs ne guériraient pas les blessures du cœur. La médecine est impuissante contre les maux de la goutte, impuissante contre l’horreur qu’éprouvent certains malades à la vue de l’eau. Quelquefois aussi le chagrin est incurable, sinon, il ne perd de son intensité qu’avec le temps. Quand tes avis eurent fortifié mon courage, et communiqué à mon âme toute l’énergie de la tienne, l’amour de la patrie, plus fort que toutes les raisons, détruisit l’œuvre de tes conseils. Que ce soit piété, que ce soit faiblesse, j’avoue que le malheur éveille en moi une sensibilité excessive. La froide raison d’Ulysse n’est pas douteuse, et cependant le plus grand désir du roi d’Ithaque était d’apercevoir la fumée du foyer paternel. Je ne sais quels charmes possède le sol natal pour nous captiver, et nous empêcher de l’oublier jamais. Quoi de meilleur que Rome ? quoi de pire que les rivages de Scythie ? et cependant le barbare quitte Rome en toute hâte, pour revenir ici. Si bien qu’elle soit dans une cage, la fille de Pandion, aspire toujours à revoir ses forêts. Malgré leur instinct sauvage, le taureau cherche les vallons boisés où il a coutume de paître, et le lion, l’antre qui lui sert de retraite. Et tu espères que les soucis qui me rongent le cœur dans l’exil seront dissipés par tes consolations ! Ô vous, mes amis, soyez donc moins dignes de ma tendresse, et je serai peut-être moins affligé de vous avoir perdus. Sans doute que, banni de la terre qui m’a vu naître, j’ai trouvé une retraite dans quelque pays habité par des hommes. Mais non, relégué aux extrémités du monde, je languis sur une plage abandonnée, dans une contrée ensevelie sous des neiges éternelles. Ici, dans les campagnes, ne croissent ni la vigne ni aucun arbre fruitier ; le saule n’y verdit point sur le bord des fleuves, ni le chêne sur les montagnes. La mer ne mérite pas plus d’éloges que la terre : toujours privés du soleil et toujours irrités, les flots y sont le jouet de tempêtes furieuses. De quelque côté que vous portiez les regards, vous ne voyez que des plaines sans culture, et de vastes terrains sans maîtres. À droite et à gauche nous presse un ennemi redoutable, dont le voisinage est une cause de terreurs continuelles.