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Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/889

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Noyer planté sur le bord de la route, je suis, malgré mon innocence, attaqué par les passants à coups de pierres. Telle est la peine ordinairement infligée aux coupables pris en flagrant délit, alors que l’heure de la justice arrive trop lentement au gré de la vengeance populaire. Mais moi je n’ai commis aucun crime, à moins que ce ne soit un crime de donner chaque année des fruits à mon maître. Autrefois, quand les temps étaient meilleurs, les arbres se disputaient à qui d’entre eux serait le plus fertile. Alors le maître reconnaissant avait coutume, à la venue des derniers fruits, de couronner de guirlandes les dieux du labourage ; ainsi, ô Bacchus, tu admiras souvent tes raisins ; souvent aussi Minerve admira ses olives. Les fruits eussent alors porté préjudice à l’arbre maternel, si une longue fourche n’eût étayé ses branches affaissées. Bien plus, à cette époque, les femmes imitaient notre fécondité : pas une alors qui ne fût mère ; mais depuis que le platane au stérile ombrage eut obtenu des honneurs exclusifs[1], nous autres, arbres fruitiers (si toutefois le noyer peut s’arroger ce titre), nous commençâmes à développer outre mesure notre spacieux feuillage ; aussi ne portons-nous plus de fruits chaque année ; et l’olive et le raisin n’arrivent au cellier que rabougris. Maintenant, pour conserver sa beauté, la femme ne craint pas de corrompre le germe de sa fécondité, et il en est peu dans notre siècle qui veuillent bien être mères. De même que Clytemnestre[2], je pourrais me plaindre, et dire : « Si j’eusse été stérile, je serais plus en sûreté. » Que la vigne sache un jour le danger de sa fertilité, et elle étouffera ses raisins dans leur germe ; que l’arbre de Pallas vienne à l’apprendre, et il empêchera ses olives de croître ; que cela soit

  1. On attachait alors tant de prix aux platanes, que Pline le naturaliste (liv. XII, ch. IV), dit qu’on les nourrissait avec du vin pur : Mero effuso enutriuntur.
  2. On sait que Clytemnestre fut tuée par son fils Oreste.