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LIVRE IV, § L.

moire ceux qui ont tenu obstinément à la vie. Qu’y ont-ils gagné de plus que ceux qui sont morts avant le temps ? Cadicianus, Fabius, Julien, Lépidus, et tous ceux qui ont eu le même caractère, ont dû cependant tomber un jour ou l’autre, ici ou là. Eux qui avaient porté tant de gens au tombeau, ils y ont été portés à leur tour. Somme toute, l’intervalle est bien peu de chose. Et encore à quel prix, avec qui le passe-t-on, et dans quel misérable corps ! Que ce ne soit donc pas là une affaire. Regarde en effet derrière toi l’abîme insondable de la durée ; et devant toi, un autre infini. Au milieu de cette immensité, quelle différence y a-t-il à vivre trois jours ou trois âges d’homme ?

    que, dans ce mépris de la vie, l’ignorance la plus grossière nous fortifie autant que les méditations les plus profondes de la sagesse. Les sauvages et les barbares savent en général mourir avec une impassibilité que le stoïcisme n’a point dépassée. La vraie différence, c’est qu’ils ne savent pas ce qu’ils font. Sénèque a dit : « Il faut prendre garde de ne pas trop aimer ni aussi de ne pas trop haïr la vie ; et quand la raison nous oblige de la quitter, il ne le faut pas faire légèrement et avec précipitation. » Épître XXIV, à Lucilius. Bossuet a dit : « Ô mortels, venez contempler le spectacle des choses mortelles ; ô hommes, venez apprendre ce que c’est que l’homme. Vous serez peut-être étonnés que je vous adresse à la mort pour être instruits de ce que vous êtes, et vous croirez que ce n’est pas bien représenter l’homme que de le montrer où il n’est plus. Mais si vous prenez soin de vouloir entendre ce qui se