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PENSÉES DE MARC-AURÈLE.

XXXIV

Quelles âmes sont les leurs[1] ! À quels objets appliquent-ils leurs soins les plus ardents ! Dans quelles vues prodiguent-ils leur amour et leur respect ! Essaie un peu de voir à nu leur cœur misérable[2]. Quelle déception de s’imaginer que le blâme de telles gens puisse nous faire quelque tort, ou que leurs louanges les plus vives puissent nous servir à quelque chose !

    mais, selon que la vie a été plus ou moins longue, elle a pu être plus ou moins utile dans le plan général des choses. La vie de Marc-Aurèle, sans avoir été fort étendue, a cependant mieux valu que celle de son frère adoptif, mort de ses débauches, ou de tel César, disparu à la fleur de l’âge.

  1. Quelles âmes sont les leurs ! Le texte est aussi vague que la traduction. La fin du paragraphe explique très-clairement la pensée, qui est d’ailleurs d’une profonde justesse. On peut voir plus haut, liv. VI, § 59, des réflexions analogues, et aussi la réponse qu’on y peut faire au nom de Pascal. L’âme humaine, même quand elle est vicieuse, a une valeur propre dont il nous faut tenir compte ; et la gloire, même quand c’est le vulgaire qui la donne, n’est jamais entièrement dénuée de prix.
  2. Voir à nu leur cœur misérable. Précepte excellent, de réduire toujours les hommes à leur valeur personnelle ; mais il est difficile de les isoler complètement de tout ce qui les environne et les cache. Sénèque a dit : « Quand vous voudrez savoir au vrai la valeur de quelqu’un, regardez-le tout nu ; dépouillez-le de ses richesses, de ses charges et des autres avantages dont la fortune l’a paré. Détachez-le même de son corps ; et considérez son âme. Voyez ce que c’est, et si elle est grande de son fonds, ou de celui d’autrui. » Épître LXXV, à Lucilius.