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PENSÉES DE MARC-AURÈLE.

tions agréables ou pénibles de la chair, sur la vaine gloire, sur la mort, et sur toutes les choses de cet ordre.

Si donc tu continues à mériter réellement ces noms, sans t’inquiéter d’ailleurs de les recevoir de la bouche d’autrui, tu deviendras tout différent de ce que tu es, et tu entreras dans une tout autre vie[1]. Car demeurer encore ce que tu as été jusqu’aujourd’hui, être toujours lacéré et souillé par cette conduite que tu as antérieurement menée, c’est avoir par trop perdu tout sentiment, c’est par trop aimer l’existence ; c’est par trop ressembler à ces bestiaires[2] à demi dévorés, qui, criblés de blessures et couverts de boue, n’en demandent pas moins avec instance qu’on les conserve pour le jour suivant[3], afin qu’ils puissent encore, dans l’état où ils sont, aller s’exposer aux griffes et aux dents qui les ont déjà déchirés.

    nition exacte et profonde de la magnanimité ; toutes les petitesses et les bassesses d’âme viennent de ce que la bête l’emporte sur l’être raisonnable, de ce que l’amour des faux biens l’emporte sur l’amour des vrais biens.

  1. Tu entreras dans une tout autre vie. C’est la vie morale, après la vie de l’instinct, et trop souvent de la brute.
  2. Ces bestiaires. On se rappelle que c’était le nom des gladiateurs destinés à combattre contre les bêtes féroces.
  3. Qu’on les conserva pour le jour suivant. Quand un gladiateur était blessé, le peuple du cirque était consulté pour savoir s’il fallait achever sur-le-champ le malheureux, ou le ré-