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LIVRE X, § XIII.

nellement qu’un autre que toi se conduise avec justice[1] et probité. » Non sans doute, cela ne t’importe en rien. Est-ce que tu ignores comment ces gens, si impertinents[2] dans les louanges ou dans les critiques qu’ils font d’autrui, se conduisent eux-mêmes au lit, comment ils se conduisent à table ? Ignores-tu leurs manières de faire, les objets de leurs craintes, les objets de leurs convoitises, leurs rapines, leurs vols, qu’ils accomplissent, non pas en se servant de leurs mains et de leurs pieds, mais en y appliquant la partie la plus précieuse de leur être, celle qui peut avoir, quand elle le veut, la loyauté, la pudeur, la vérité, l’obéissance à la loi, et qui peut devenir le bon génie de l’homme[3] ?

  1. Qu’un autre que toi se conduise avec justice. Peut-être cette pensée est-elle trop évidente et trop simple. La conduite des autres peut nous faire un tort matériel ; mais il n’y a que notre propre conduite qui puisse nous faire un tort moral, parce que notre personnalité ne peut se confondre avec aucune autre.
  2. Ces gens, si impertinents. Marc-Aurèle a raison de dédaigner les jugements du vulgaire ; mais il ne faut pas pousser ce dédain jusqu’à se rendre soi-même trop orgueilleux à l’égard de ses semblables. La misanthropie n’est souvent que le résultat de la vanité.
  3. Le bon génie de l’homme. Le Christianisme dirait : l’Ange gardien. Voir plus haut, liv. VIII, § 45.