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LIVRE II, § XII.

XII

Comme tout disparaît[1] en un instant : dans le monde, les personnes ; et dans la durée, les souvenirs qu’elles laissent après elles ! Qu’est-ce que toutes les choses sensibles, et surtout celles qui nous séduisent par le plaisir ou nous épouvantent par la douleur, et dont notre vanité fait tant de bruit ? Comment des objets si frivoles, si méprisables, si décousus, si périssables et si parfaitement morts, pourraient-ils occuper notre intelligence et notre raison[2] ? Que sont même les hommes dont les jugements et les suffrages distribuent la gloire ? Qu’est-ce que mourir[3] ? Si l’on considère la mort en elle-même, et si, par la pensée et l’analyse, on dissipe les vains fantômes qu’on y joint sans raison, que peut-on penser

  1. Comme tout disparaît. Sentiment vrai et profond du néant de l’homme.
  2. Notre intelligence et notre raison. C’est à notre sensibilité que s’adressent surtout les choses ordinaires de la vie, et si nous étions davantage en garde contre nous-mêmes, nos sens nous séduiraient moins souvent et moins grossièrement.
  3. Qu’est-ce que mourir ? Grande et éternelle question, que la philosophie et la religion se posent et qui est toujours à résoudre. Le Christianisme a sur ce problème essentiel une solution puisée dans la Bible, et qui remonte jusqu’au Paradis terrestre. Le Platonisme a aussi la sienne, qui se fonde surtout sur l’éternité de l’âme, prouvée par la réminiscence.