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Page:Pensées de Marc-Aurèle, trad. Barthélemy-Saint-Hilaire.djvu/65

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LIVRE II, § XIV.

ne peut jamais perdre une autre existence que celle qu’on vit ici-bas, et qu’on ne peut pas davantage en vivre une autre que celle qu’on perd. À cet égard, la plus longue vie en est tout à fait au même point que la plus courte. Pour tout le monde, le présent, le moment actuel est égal, bien que le passé qu’on laisse en arrière puisse être très-inégal. Ainsi, ce qu’on perd n’est évidemment qu’un instant imperceptible. On ne peut perdre d’aucune façon ni le passé ni l’avenir ; car une chose que nous ne possédons pas, comment pourrait-on nous la ravir ? Voici donc deux considérations qu’il ne faut jamais perdre de vue : la première, que tout en ce monde roule éternellement dans le même cercle, et qu’il n’y a pas la moindre différence à voir toujours des choses pareilles, ou cent ans de suite, ou deux cents ans, et même pendant la durée infinie ; la seconde, que celui qui aie plus vécu et celui qui aura dû mourir le plus prématurément font exac-

    originale. Pascal a dit : « Nous ne nous tenons jamais au présent. Nous anticipons l’avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours ; ou nous rappelons le passé, pour l’arrêter comme trop prompt. Si imprudents que nous errons dans les temps qui ne sont pas nôtres et ne pensons point au seul qui nous appartient ! » Pensées, article 3, p. 38, édit. Havet.