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SABBAT

convoite. Je vous labourerai avec l’âpreté cruelle du soc, la patience terrible des bœufs jusqu’à ce que soit monté de vous le blé dont j’ai besoin. Je vous ligoterai à l’arbre et j’attendrai avec la ténacité de l’instinct sauvage que vous m’ayez livré votre secret dans votre soupir qui se soumettra. Que voulez-vous ? J’ai faim, j’ai soif, j’ai une âme à contenter, moi, et elle est d’autant plus avide que mon corps je le traite comme un gueux. Je vais donc à mon pain : tant pis pour lui s’il se refuse. Je vais à ma source : tant pis pour elle si elle se cache. Je vais à ma nécessité divine : tant pis pour elle s’il faut que je fasse violence à un certain nombre d’anges pour qu’elle sorte de chez elle. Je suis, ma foi, d’humeur à massacrer quelque Trône, voire même quelque Domination.

— Je vous fuirai, je vous fuirai… Je vous fuis sans cesse.

— Ah ! Ah ! Je vous obtiendrai par les ailes, le venin, les griffes, les trompes dorées de mon âme. Je serai l’aigle, le serpent, le tigre et le papillon. Je tournoierai au-dessus de vous jusqu’à ce que je vous aie fasciné par la puissance ensoleillée du vol. Je m’attacherai à vous par le nœud multiple et glacé jusqu’à ce que vous atteigne la morsure de mes dents mortelles par ma bouche de fleur. Je vous guetterai jusqu’à ce que vous entendiez, dans la jungle de nos détresses et de nos solitudes, le cri dont la gazelle se poignarde avant d’être égorgée. Mais rassurez--