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SABBAT

L’harmonie est la grande solitude, mais que la harpe et le luth de ce monde, s’imaginant que c’est la grande détresse, se gardent d’en avoir pitié et de vouloir en faire l’âme de leurs cordes cassantes. Ce qui n’est pas à soi-même un absolu n’est rien, et que je sois préservée — ô Dieu ! — de demander jamais comme le sol : la pluie ; comme le pampre : la grappe ; comme l’œillet : la pourpre ; comme le roi : le sacre ; comme le couteau : le sang ; comme le désert : quelqu’un !

C’est donc vrai que tu m’aimes ? Et voici le plus étrange prodige. Écoute : un jour, l’homme auquel j’ai sacrifié ma radieuse jeunesse, après des années de douleurs communes, mais d’entente singulière, m’a dit, comme il s’était épris de je ne sais plus qui : « Je ne t’ai jamais aimée… » Un soir, un homme qui a fait pour moi ce qu’on appelle : « des folies », m’a dit, comme il s’était épris de je ne sais plus quoi : « Je ne t’ai jamais aimée… »

« Bien… ai-je pensé, voilà la seconde fois que j’entends ma condamnation », et je me suis tournée vers ma mère. Je ne puis songer à elle sans que mon âme frémisse de passion surhumaine. Elle est la Poésie. Je ne suis qu’un poète, et j’ai regardé profondément ma mère dans ses incomparables yeux d’azur.