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ÉVOLUTION HISTORIQUE

bien des Suzanne au bain ; or, je n’ai pas rencontré une seule de ces peintures qui répondît au sujet.

Pour peu que madame Putiphar soit jolie, on se dit, malgré soi, que Joseph est un sot ; et la leçon morale tirée de l’Écriture sainte devient une provocation à l’adultère, par l’agacement même qu’elle cause. D’où vient cet échec perpétuel ? De ce que les artistes n’ont jamais su qu’une chose : éveiller la concupiscence par les yeux, sans savoir le premier mot de ce qu’il faudrait pour commander, par le même moyen, la retenue. Quand on est artiste médiocre, on ne se risque pas à de telles difficultés. Le peintre s’est dit, au contraire : Plus ma femme sera belle, plus par cela même ressortira la vertu de Joseph. — Mais cette vertu a besoin d’appui, de motifs, d’une protection d’en haut, c’est-à-dire de la conscience, et vous ne nous le faites pas voir. Il faut qu’à une image lascive il y en ait une autre qui s’oppose et décide le jeune homme.

Quand les anciens ont peint Hercule entre la Vertu et la Volupté, ils ont compris la difficulté : si la Vertu était absente ou manifestée par un logogriphe, par une belle maxime, Hercule succomberait. Mais qu’ont-ils fait ? Ils ont personnifié la Vertu elle-même, ils l’ont montrée au héros dans sa beauté héroïque. Dès lors, tout est dit : Hercule préfère la Vertu : c’est tout simple, elle est plus belle que Vénus même, et nous en ferions tout autant que lui. L’artiste alors serait bien