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Page:Proust - Le Temps retrouvé, 1927, tome 1.djvu/210

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résistance, et qui avions la meilleure organisation. » Ou bien ses confidences prenaient un autre ton, et il s’écriait rageusement : « Que Lord X ou le prince de X ne viennent pas redire ce qu’ils disaient hier, car je me suis tenu à quatre pour ne pas leur répondre : « Vous savez bien que vous en êtes au moins autant que moi. » Inutile d’ajouter que, quand M. de Charlus faisait ainsi, dans les moments où, comme on dit, il n’était pas très « présent », des aveux germanophiles ou autres, les personnes de l’entourage qui se trouvaient là, que ce fût Jupien ou la duchesse de Guermantes, avaient l’habitude d’interrompre les paroles imprudentes et d’en donner, pour les tiers moins intimes et plus indiscrets, une interprétation forcée mais honorable. « Mais mon Dieu ! s’écria Jupien, j’avais bien raison de vouloir que nous ne nous éloignions pas, le voilà qui a trouvé déjà le moyen d’entrer en conversation avec un garçon jardinier. Adieu, Monsieur, il vaut mieux que je vous quitte et que je ne laisse pas un instant seul mon malade qui n’est plus qu’un grand enfant. »



Je descendis de nouveau de voiture un peu avant d’arriver chez la princesse de Guermantes et je recommençai à penser à cette lassitude et à cet ennui avec lesquels j’avais essayé, la veille, de noter la ligne qui, dans une des campagnes réputées les plus belles de France, séparait sur les arbres l’ombre de la lumière. Certes, les conclusions intellectuelles que j’en avais tirées n’affectaient pas aujourd’hui aussi cruellement ma sensibilité. Elles restaient les mêmes. Mais comme chaque fois que je me trouvais arraché à mes habitudes, sorti à une autre heure, dans un lieu nouveau, j’éprouvais un vif plaisir.

Ce plaisir me semblait aujourd’hui un plaisir purement frivole, celui d’aller à une matinée chez Mme de