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LA MORT DE BALDASSARE SILVANDE.

III

« Sa jeunesse lui fait du bruit, il n’entend pas. »
Mme de Sévigné.

Quand Alexis, le jour de ses quatorze ans, alla voir son oncle Baldassare, il ne sentit pas se renouveler, comme il s’y était attendu, les violentes émotions de l’année précédente. Les courses incessantes sur le cheval que son oncle lui avait donné, en développant ses forces, avaient lassé tout son énervement et avivaient en lui ce sentiment continu de la bonne santé, qui s’ajoute alors à la jeunesse, comme la conscience obscure de la profondeur de ses ressources et de la puissance de son allégresse. À sentir, sous la brise éveillée par son galop, sa poitrine gonflée comme une voile, son corps brûlant comme un feu d’hiver et son front aussi frais que les feuillages fugitifs qui le ceignaient au passage, à raidir en rentrant son corps sous l’eau froide ou à le délasser longuement pendant les digestions savoureuses, il exaltait en lui ces puissances de la vie qui, après avoir été l’orgueil tumultueux de Baldassare, s’étaient à jamais retirées de lui pour aller réjouir des âmes plus jeunes, qu’un jour pourtant elles déserteraient aussi.

Rien en Alexis ne pouvait plus défaillir de la faiblesse de son oncle, mourir à sa fin prochaine. Le bourdonnement joyeux de son sang dans ses veines et de ses désirs