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MÉLANGES

aurions mauvaise grâce à nous plaindre des peines qu’ils pourront nous donner : le calme et la fraîcheur du vieux couvent sont si exquises, où les religieuses portent encore le haut hennin aux ailes blanches qu’elles ont dans le Roger Van der Weyden du parloir ; et, pendant que nous travaillons, les carillons du xviie siècle étourdissent si tendrement l’eau naïve du canal qu’un peu de soleil pâle suffit à éblouir entre la double rangée d’arbres dépouillés dès la fin de l’été qui frôlent les miroirs accrochés aux maisons à pignons des deux rives[1].

Cette conception d’une vérité sourde aux appels de la réflexion et docile au jeu des influences, d’une

  1. Je n’ai pas besoin de dire qu’il serait inutile de chercher ce couvent près d’Utrecht et que tout ce morceau est de pure imagination. Il m’a pourtant été suggéré par les lignes suivantes de M. Léon Séché dans son ouvrage sur Sainte-Beuve : « Il (Sainte-Beuve) s’avisa un jour, pendant qu’il était à Liège, de prendre langue avec la petite église d’Utrecht. C’était un peu tard, mais Utrecht était bien loin de Paris et je ne sais pas si Volupté aurait suffi à lui ouvrir à deux battants les archives d’Amersfoort. J’en doute un peu, car même après les deux premiers volumes de son Port-Royal, le pieux savant qui avait alors la garde de ces archives, etc. Sainte-Beuve obtint avec peine du bon M. Karsten la permission d’entre-bâiller certains cartons… Ouvrez la deuxième édition de Port-Royal et vous verrez la reconnaissance que Sainte-Beuve témoigna à M. Karsten » (Léon Séché, Sainte-Beuve, tome I, pages 229 et suivantes). Quand aux détails du voyage, ils reposent tous sur des impressions vraies. Je ne sais si on passe par Dordrecht pour aller à Utrecht, mais c’est bien telle que je l’ai vue que j’ai décrit Dordrecht. Ce n’est pas en allant à Utrecht, mais à Vollendam, que j’ai voyagé en coche d’eau, entre les roseaux. Le canal que j’ai placé à Utrecht est à Delft. J’ai vu à l’hôpital de Beaune un Van der Weyden, et des religieuses d’un ordre venu, je crois, des Flandres, qui portent encore la même coiffe non que dans le Roger van der Weyden, mais que dans d’autres tableaux vus en Hollande.
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